The Alto Knights, crépuscule et chemise

 


On ferme ! Tout dans The Alto Knights fleure bon la fin de règne, l’ultime tour de piste, les adieux d’un clown – lourdement – maquillé à un genre auquel il a tant donné. Si, contrairement à la légende urbaine, Molière n’est pas mort sur scène (mais bien à son domicile parisien), Robert De Niro passera peut-être le Glock à gauche en interprétant un énième malfrat italo-américain. Ou deux, comme ici : non content d’interpréter Frank Costello, le capo dei tutti capi (chef des chefs) de la mafia au mitan du XXe siècle qui inspirera à Mario Puzo son fameux don Corleone, il endosse aussi le rôle de Vito Genovese, autre parrain avec qui Costello entrera en bisbille…

Si cette idée du rôle double, un peu arbitraire, laisse dans la bouche un arrière-goût de coup marketing, il demeure assez fascinant de voir le grand Bob se donner la réplique à lui-même et invoquer pour ces performances les mânes de ses rôles marquants d’hier – qu’il s’agisse de Travis Bickle et Al Capone (pour le chien fou Genovese) ou de Noodles Aaronson et Ace Rothstein (pour le taiseux Costello). Même si cela finit presque par se retourner contre le film : grimé comme ça, et avec sa voix volontairement fluette, le Genovese de De Niro finit par ressembler à s’y méprendre à son collègue Joe Pesci. N’était-il pas plus simple, alors, de proposer le rôle au vrai Pesci ?

The Alto Knights est un film aride, anti-spectaculaire au possible, qui vient parachever l’œuvre de puissante démythification de la Cosa Nostra déjà entamée – avec plus de brio, faut-il le préciser – par Scorsese dans Les Affranchis et The Irishman. Finies, les envolées lyrico-sanglantes du Parrain : ne reste plus que des vieillards perclus et goitreux, se prenant le bec ou évoquant le bon vieux temps dans l’arrière-boutique d’un barbershop ou – tout un symbole – d’un salon funéraire. Une dernière tournée avant la mise en bière, pas totalement dénuée d’humour : comme le montre Barry Levinson (lui-même vétéran revenu de presque tout), le mafioso moyen est au fond un petit vieux comme un autre, qui vitupère contre la musique « de jeunes » (dans les 60s, c’était Little Richard) devant sa télé…

Avec un tel programme de réjouissances, pas étonnant que le long-métrage ait méchamment mordu la poussière au box-office – échec qui vient confirmer le peu d’intérêt que le public contemporain porte au film de mafia. Désormais, c’est plutôt quand ils louchent du côté d’une blaxploitation 2.0 que les margoulins arrivent à se pérenniser, comme en atteste les solides succès des séries télévisées Snowfall, Godfather of Harlem ou Black Mafia Family, toutes descendantes de l’American Gangster de Ridley Scott. Non, ce pays n’est décidément plus pour le vieil homme.

The Alto Knights, Barry Levinson, 2025. Avec : Robert De Niro, Robert De Niro, Debra Messing, Kathrine Narducci, Cosmo Jarvis.

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