Une trilogie américaine : La Garçonnière et son héritage
On classe généralement Billy Wilder parmi les plus grands
réalisateurs de comédie de l’Histoire. Et ce n’est que justice, l’homme étant
responsable des rires procurés à beaucoup devant les chef-d’œuvres
comiques que sont Certains l’aiment chaud
et La Garçonnière. Pourtant, un
semblant de méprise subsiste généralement concernant le réalisateur et son
œuvre : ce qui marque chez Wilder, c’est son relatif détachement du
matériau comique pur, du bouffonesque, du slapstick
et son gag à la seconde. Aussi irréprochable que soit Certains l’aiment chaud, il n’est en ce sens pas
réellement représentatif du travail effectué par Wilder sur le genre comique et
ses figures. S’il fallait trouver un porte-drapeau beaucoup plus approprié de
la conception que se fait Wilder de la comédie, ce serait idéalement La Garçonnière.
Mais reprenons du début. Le film narre l’histoire de
C.C. Baxter, employé anonyme d’une grande compagnie d’assurance. Peu
contrariant, celui-ci est avant tout connu de ses supérieurs hiérarchiques par
ce qu’il a à leur offrir : son appartement situé dans le centre ville de
New York, idéalement situé pour une goguette extra-maritale après une soirée
passée en galante compagnie. Le problème, c’est que Baxter va s’enticher d’une
collègue, liftière d’ascenseur qui n’est autre que l’ex-maîtresse de son
patron, celui la même qui lui promet une ascension sociale fulgurante en retour
de la mise à disposition de son appartement. On s’en doute, Baxter devra
choisir entre le cœur et la raison, entre la fille et la richesse – puisque,
c’est bien connu, on ne peut pas tout avoir, cela se saurait.
Posé sur de telles bases, le film ne parait pas follement original.
De fait, on a déjà vu ces intrigues ailleurs, ces portes qui claquent, ces
maîtresses dans le placard, ces badinages et marivaudages. En effet, en termes
de comédie pure, le film n’est pas réellement novateur ; il n’a pas par
exemple l’argument d’un Certains l’aiment
chaud, à la dichotomie simplissime (réussir à séduire une femme quand on
tente soi-même pour une question de survie de se faire passer pour une femme). On
ne rit jamais vraiment non plus aux éclats devant La Garçonnière. En fait, ce qui fascine dans le film et en fait un cas
quasi-unique en son genre, un prototype de comédie, c’est son hors-champ, ce
que le film raconte en dehors de ce qu’il raconte. Car il y a
plus que les simples marivaudages évoqués auparavant et finalement assez rapidement
expédiés : l’étude sociologique, quasi anthropologique, de l’Homo americanus, des années 1950 et
60, donc, mais aussi tel qu’il le restera pour plusieurs décennies à venir.
Tous les maux de l’Homme moderne sont là : l’anonymat, noyé dans la masse
de travailleurs au sein des grandes entreprises (le film est parmi l’un des
premiers témoignages sur l’organisation des lieux de travail en « open space »), le manque de
reconnaissance (voir le quartet hilarant des différents
« supérieurs » hiérarchiques de C.C. Baxter, tous tournés en
dérision), la misère sociale et affective (Baxter a pour seul compagnon dans
les – rares – soirées qu’il passe dans son appartement sa télévision et ses
voisins le méprisent). Pour incarner l’homme (CC Baxter) et l’Homme, il fallait un acteur
talentueux. Et celui qui sera choisi ne sera rien de moins qu’impérial :
Jack Lemmon (tout juste sorti du succès de – le monde est petit – Certains l’aiment chaud) est ici
parfait.
Assez logiquement, le film remporta l’année de sa sortie 5 Oscars – lesquels récompensèrent en premier lieu Billy Wilder et son co-scénariste de toujours, I.A.L. Diamond. Et assez injustement, la cérémonie bouda la performance de Lemmon, jugeant sans doute qu’elle n’était pas assez spectaculaire à son goût, alors que c’est précisément ce qui fait sa force. Mais tout espoir n’est pas perdu : en 2000, lorsqu’il remporte l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans l’excellent American Beauty, Kevin Spacey dédicace sa récompense à Jack Lemmon pour son interprétation dans La Garçonnière, citant cette dernière comme une influence majeure. Ce n’est sans doute pas un hasard ; à bien des égards, American Beauty perpétue et clôt les thématiques abordées par le film de Wilder. Dans le film de Sam Mendes, cependant, plus de doute possible : on est en plein dans un drame, le moindre oripeau de comédie a été dépecé et l’effet comique ne sert qu’à souligner le pathétique des personnages et des situations. Dans La Garçonnière, on en rit encore et peu de choses, une seule même, nous permettent de nous rassurer que nous sommes bien dans une comédie : le happy end. Et l’on notera que l’homme décrit dans le premier film se retrouve peu ou prou dans le second. Pas encore névrosé mais déjà angoissé.
Assez logiquement, le film remporta l’année de sa sortie 5 Oscars – lesquels récompensèrent en premier lieu Billy Wilder et son co-scénariste de toujours, I.A.L. Diamond. Et assez injustement, la cérémonie bouda la performance de Lemmon, jugeant sans doute qu’elle n’était pas assez spectaculaire à son goût, alors que c’est précisément ce qui fait sa force. Mais tout espoir n’est pas perdu : en 2000, lorsqu’il remporte l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans l’excellent American Beauty, Kevin Spacey dédicace sa récompense à Jack Lemmon pour son interprétation dans La Garçonnière, citant cette dernière comme une influence majeure. Ce n’est sans doute pas un hasard ; à bien des égards, American Beauty perpétue et clôt les thématiques abordées par le film de Wilder. Dans le film de Sam Mendes, cependant, plus de doute possible : on est en plein dans un drame, le moindre oripeau de comédie a été dépecé et l’effet comique ne sert qu’à souligner le pathétique des personnages et des situations. Dans La Garçonnière, on en rit encore et peu de choses, une seule même, nous permettent de nous rassurer que nous sommes bien dans une comédie : le happy end. Et l’on notera que l’homme décrit dans le premier film se retrouve peu ou prou dans le second. Pas encore névrosé mais déjà angoissé.
Incidemment, Jack Lemmon et Kevin Spacey se sont croisés
devant la caméra. C’était en 1992, dans Glengarry, adaptation plus que recommandable de la sublime pièce de l'orfèvre David Mamet et dont le casting ne compte que du très beau linge, ou
presque ; en plus des deux précités, on ne retrouve pas moins qu’Al
Pacino, Alec Baldwin, Alan Arkin, Ed Harris et Jonathan Pryce. Contant les manœuvres
désespérées de commerciaux aux abois afin de garder leur emploi, Glengarry peut également être
rapproché de La Garçonnière et American Beauty dans sa description d’un
environnement socio-économique américain qui broie ses travailleurs – et affecte
profondément la vision que l’homme renvoie et perçoit de lui-même. Belle ironie
du hasard, on retrouve Jack Lemmon dans la peau d’un commercial délavé aux
répliques légendaires (dont le désormais célèbre « closing is what I
do ! ») et Kevin Spacey dans celle d’un patron aux dents longues,
seul réellement capable de pouvoir échapper à la vague de licenciements. Au
choix, on pourra donc décider de voir Glengarry
comme un post-scriptum triste ajouté à la légendaire Garçonnière ou comme un prologue
réjouissant à American Beauty. De ces
trois films ressortent des thématiques fortes et ils dessinent une trilogie
virtuelle à la cohérence quasi-parfaite.
La Garçonnière (The Apartment), Billy Wilder, 1960. Avec : Jack Lemmon, Shirley MacLaine, Fred MacMurray.