Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer
Patatras. Après avoir avancé sur la pente ascendante pendant sept films – les trois premiers volets constituent de sympathiques quoique rétrospectivement très classiques thrillers, alors que l’apex est atteint avec le quatrième, Protocole Fantôme, et que les trois suivants demeurent dans le haut du panier du blockbuster hollywoodien –, Mission : Impossible se casse la figure avec ce (probable) dernier long-métrage. Car c’est précisément cette conscience d’être en bout de ligne, cette obsession eschatologique, qui plombe The Final Reckoning.
Petit Tom parti trop tard
Toute la première heure de ce huitième film ne sert de fait qu’à ça : se souvenir, avec force flashbacks, du bon vieux temps, se rappeler toutes ces heures passées à ouvrir grand les mirettes, entre souvenirs indélébiles (« Ah, ce moment de bravoure, souvent imité mais jamais égalé, dans les bureaux de la CIA ! Oh, l’ascension à mains nues du Burj Khalifa… ») et passe-plats qu’on avait oubliés (« Tiens, Léa Seydoux a coudoyé Ethan Hunt avant d’avoir un mouflet avec James Bond ? »). Les discours admiratifs, déclamés par les huiles du renseignement américains, esbaudis des exploits du plus casse-cou des espions, instillent eux aussi une ambiance d’éloge funèbre.
Tout comme le font les dialogues aussi creux que pontifiants sur « le monde », pris comme ensemble aussi vague qu’indivisible : « Le monde est au bord du précipice », « C’est la fin du monde tel qu’on le connaît », « Détruire le monde ou réduire le monde en esclavage ? ». Etc. Et que dire de ce pauvre Ving Rhames, figure historique de la saga jetée avec l’eau du bain (pour qui ? Pourquoi ?), à qui l’on donne à réciter d’outre-tombe des lapalissades toutes torettiennes ? Sans surprise, c’est quand The Final Reckoning l’ouvre un peu moins qu’on finit par être convaincu. Et on l’est même encore plus quand il se tait pour de bon, comme en témoigne cette longue et belle scène dans un sous-marin soviétique échoué au fond de l’océan, uniquement rythmée par les bruits de tôle rouillée et la musique d’ambiance.
Véloces & Féroces
Dommage, alors, que les pistes narratives mises en place tiennent du bêtisier des grosses ficelles du blockbuster contemporain : faire parler les morts, inventer des liens de parenté baroques au premier second couteau venu, revisiter les événements survenus dans les précédents volets pour leur donner un sens tout autre… Même l’embardée dans le cercle polaire arctique finit par ressembler à une usine à gaz pour faire revenir William Donloe, infortuné informaticien de la CIA mis au ban à cause des facéties d’Ethan Hunt, et à qui l’on offre aujourd’hui sa rédemption. Difficile, là encore, de ne pas être frappé par la « torettisation » in extremis d’une franchise jadis à l’avant-garde de la pyrotechnie hollywoodienne, sommée de copier sur le voisin quand il n’y a plus de foin dans les râteliers. Il y a huit ans, à la sortie du dernier (du moins on l’espère) Pirates des Caraïbes, on avait pu en parler comme d’un « Fast & Furious aquatique » ; aujourd’hui, ça nous peine de l’écrire, mais Mission : Impossible est devenu quelque chose de l’ordre d’un Fast & Furious aérien. Tom Cruise court toujours aussi vite, certes, mais cette fois-ci après les tendances de son époque…
Car, au fond, c’est ce qu’il y a de plus consternant dans ce Final Reckoning : qu’il met au compost tout ou presque ce qui a été fait par la franchise jusqu’ici. Brian de Palma, John Woo, J.J. Abrams, Brad Bird (maîtres d’œuvre des quatre premiers opus) se fichaient bien de savoir ce que contenaient réellement le bidule ésotérique ou le vaccin mythologique en quête desquels était Hunt. La « chimère » ou la « patte de lapin » n’étaient que de purs MacGuffins, queues de Mickey hitchcockiennes ayant pour seul but de mettre l’intrigue en branle – puis de laisser à Tom Cruise le soin de faire tourner la boutique. Une ligne claire narrative déjà remis en cause par Christopher McQuarrie (seul réalisateur à avoir rempilé pour plus d’un épisode, et moins virtuose des cinéastes de la saga) à compter du numéro 5, Rogue Nation. M:I sérialisé, M:I marvélisé, mais M:I alambiqué !
Juste la fin du monde
Le précédent film, Dead Reckoning, levait déjà un coin du voile sur les raisons qu’avaient Ethan Hunt de courir, inlassablement : déçu par ses mentors, abandonné par ses femmes, doublé par ses amis, l’espion n’avait « plus nulle part d’autre où aller », subodorait-on. Une mue en héros tragique qui ne suffit même plus à The Final Reckoning puisque, à mesure que le film se déroule, on comprend peu ou prou de qui Ethan Hunt devient l’avatar, l’incarnation : une divinité. Résumons : dans les deux derniers volets, Hunt et sa clique font face à « L’Entité », intelligence artificielle à la fois omnisciente et invisible, aux capacités de raisonnement et de manipulation telles qu’elle ne semble même plus revêtir de la simple technique ; après tout, comme l’a si bien énoncé l’écrivain de science-fiction Arthur C. Clarke, « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie »… Cette Entité, rapidement surnommée « L’Anti-Dieu », peut compter sur la coopération d’un humain de chair et d’os, nommé Gabriel, comme l’archange éponyme considéré comme « la main gauche de Dieu ». Pour les combattre : Dieu lui-même, ou à tout le moins un de ses émissaires. Désintéressé, sacrificiel, armé d'une (clé en forme de) croix, prompt à se battre jusque dans les cieux pour sauver l'humanité : Ethan Hunt lui-même.
Certes, certes : n’en ferait-on pas un peu trop ? A force de voir des références calotines partout – de Michael Jordan à (décidément !) Dominic Toretto –, elles risquent de plus n’avoir de sens nulle part ? Peut-être bien. Reste qu’avec ses références explicites à l’arche de Noé ou à une « doomsday weapon » (« arme de la fin du monde »), le film ne fait rien pour nous détourner de cette interprétation. Et pas davantage lorsqu’il explicite, au détour d’un dialogue la signification de son titre, puisque « Final Reckoning » signifie bien « Jugement dernier ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle Ethan Hunt « s’estompe toujours plus vers le nébuleux et le conceptuel [et est] désormais moins un homme qu’une idée » (on s’autocite toujours) : parce qu’il a rejoint le domaine de la croyance, et est désormais en chacun d’entre nous, même quand on ne le voit pas. Le dernier plan de The Final Reckoning, d’ailleurs, voit Hunt replonger dans l’anonymat après avoir dit au revoir à ses apôtres, redevenu un simple visage dans la foule. Doit-on craindre – ou espérer, c’est selon – une ultime pirouette et un dernier dernier volet ? Après tout, même le fiston de Dieu n’avait pas su résister à la tentation d’un come-back.
Mission: Impossible - The Final Reckoning, Christopher McQuarrie, 2025. Avec : Tom Cruise, Hayley Atwell, Simon Pegg, Ving Rhames, Esai Morales.