Les Trois Corniauds : Dumb & Dumber & Dumberer

 
Les « Three Stooges » (ici rebaptisés un peu arbitrairement les « Trois Corniauds ») sont probablement l’un des fossés culturels les plus flagrants qui existent encore entre les États-Unis et l’Europe, ou tout du moins la France. Alors qu’outre-Atlantique, ils sont des icônes totales, ayant pénétré dans la culture populaire au même titre que les Marx Brothers, ils sont encore ici totalement inconnus, les plus attentifs les connaissant tout de même à travers leur fans, ceux-ci ayant généreusement essaimé dans leurs travaux des références à ces fameux Stooges : citons par exemple  Jerry Seinfeld (Larry David, le co-créateur de Seinfeld, est d’ailleurs ici de la partie sous les traits d’une nonne sadique) ou Shane Black (dans L’Arme Fatale, le personnage de Mel Gibson reprend à son compte certains des mimétismes propres aux Stooges). Les frères Farrelly, aussi – ce qui tombe à vrai dire sous le sens. Suffisamment installés à Hollywood pour monter les projets de leur choix, en dépit d’une carrière un peu en dents de scie, les frangins ont donc décidé de mettre en scène une nouvelle aventure (la première depuis longtemps) de leur héros favoris.
 
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ombre des Trois Stooges plane depuis toujours sur l’œuvre des frangins et que ceux-ci ont bien l’intention, n’ayant sans doute plus grand-chose à prouver, de payer leur tribut et d’admettre que le comique qui leur est cher ne date pas d’hier, loin s’en faut. C’est peut-être ce qui fait du film une semi-réussite seulement : même pour qui ne connaît pas l’œuvre passée des Stooges, il n’y a rien ici que l’on n’ait pas déjà vu dans la filmo des frères, et souvent en mieux. Le duo ou trio mal assorti ? Déjà vu, dans Dumb & Dumber et Kingpin. L’odyssée picaresque et improbable ? Déjà fait, dans Mary à tout prix et Fous d’Irène. Même l’intrigue secondaire (une machination visant à tuer un mari encombrant, façon Assurance sur la mort) sera recyclée sans trop d’inspiration par les frangins dans leur Dumb & Dumber De. De fait, Les Trois Corniauds exploite à fond la verve cartoonesque du cinéma des Farrelly, en repousse les bornes, tord les limites de la réalité pour le simple plaisir du gag – ceci par opposition à la veine plus romantique et fleur bleue de leur filmographie, qui habite certains de leurs films les plus personnels, comme Deux en un ou Terrain d’entente.
 
Sans déboucher sur un nouveau sommet de cette frénésie gaguesque et en nous signifiant, malheureusement, que l’âge d’or des Farrelly est bel et bien derrière eux, le film en offre un avatar honorable, généreusement filmé et parfaitement interprété – les acteurs jouant les trois rôles principaux en tête. Si les interprètes en question (Sean Hayes, Chris Diamantopoulos et Will Sasso) ne sont connus que pour leurs rôles télé, ils font parfaitement le boulot, prêtant aux personnages leurs visages relativement vierges de rôles iconiques et permettant par là de croire un peu plus à ces trois compères venus de nulle part. Et puis cela vaut toujours mieux qu’une distribution de stars (Benicio del Toro, Sean Penn ou Jim Carrey avaient un temps été annoncés au casting) croulant sous des tonnes de latex pour vaguement ressembler aux personnages. Hormis quelques fautes de goût notables (mais que vient faire ici l’insupportable casting de l’émission de télé-réalité Jersey Shore ?), ces Trois Corniauds-là restent donc largement recommandables.

Les Trois Corniauds (The Three Stooges), Peter & Bobby Farrelly, 2012. Avec : Chris Diamantopoulos, Sean Hayes, Will Sasso, Sofia Vergara, Craig Bierko.

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