Jurassic World : Parc et recréation
Les calendriers de sortie sont parfois bien cruels. Alors
que l’on fêtait il y a peu le grand
retour de l’une des figures les plus révérées de l’histoire du cinéma d’action,
Mad Max, revenu d’entre les morts avec le stupéfiant Fury Road, cet été aura aussi marqué le come-back d’une franchise également moribonde et délaissée : Jurassic Park. Pourtant, au-delà de ce
qui peut rattacher de près ou de loin les deux films (un intérêt évident du
Hollywood contemporain pour un recyclage de ses figures-refuges), l’un et
l’autre n’ont rien à voir..
Non, Jurassic World n’est pas Fury
Road, au même titre que la trilogie Jurassic
Park n’est pas la trilogie Mad Max :
là où George Miller proposait une saga riche et cohérente en dépit de toutes
ses béances narratives et ses changements de cap thématiques, Spielberg
lui-même proposait une suite un peu automatique, imposée (par Universal en
« échange » d’une petite chronique des années de guerre nommée La Liste de Schindler) et ne parvenant
pas réellement à enrichir – grosses bébêtes mises à part – l’univers foisonnant
mis en place par le premier film. Quant à Jurassic
Park III, il s’agit avant tout d’une suite fondamentalement inutile,
presque tardive et mal-aimée – un peu à juste titre. De fait, contrairement à Fury Road, Jurassic World ne cherche pas à réinventer la grammaire du cinéma
d’action et son appréhension cinétique. Contrairement à un Avengers : L’Ere d’Ultron ou Fast & Furious 7, il ne cherche pas non plus à proposer une
expérience immersive totale ou de la surenchère débilitante. Jurassic World, c’est du cinoche du
samedi soir, calibré pour le multiplexe (ou le home cinéma, chacun ses goûts),
irrésistible pour les kids et pas
désagréable pour leurs parents. Pas beaucoup plus ? Pas beaucoup plus. Car
là où le bât blesse fortement, c’est quand le film ne parvient pas à proposer
un spectacle réellement satisfaisant au sein même d’un carcan aussi étroit.
Du cinéma classique, donc. Dans son scénario et son déroulé
plan-plan, dans sa caractérisation des personnages, stéréotypés jusqu’à la
caricature. L’executive woman
collet-monté aussi drôle qu’une porte de prison (Bryce Dallas Howard, qui
confirme sa stature de sous-Jessica Chastain) vs le beau héros vétéran de guerre qui n’a pas froid aux yeux
(Chris Pratt, moins décontracté que dans Les
Gardiens de la Galaxie), on a déjà vu ça quelque part, non ? Oui, dans
quasiment chaque gros film discrètement misogyne réalisé depuis les années 60. Dans son apologie de la famille, à laquelle le film accorde
une croyance sans faille, aussi. Autant de valeurs bien-pensantes et de poncifs
rassurants pour l’auditoire du film. Ce qui explique au moins en partie son
succès, quasiment historique – à l’heure où l’on écrit ces lignes, il est
d’ores et déjà rentré dans le club (plus très fermé) des films milliardaires.
Mais tout ceci n’est pas le moindre des défauts du film. En
fait, tout Jurassic World (sur le
fond comme sur la forme) est déjà contenu dans le Jurassic Park premier du nom. Du début à la fin, le film est
spielbergien en diable : des enfants, rendus malheureux par le divorce de
leurs parents, doivent faire face à une horde de méchants dinosaures, dont, in fine – et tant pis pour le spoiler – un vilain T-Rex tout énervé. Le
tout rehaussé par la sublime partition de John Williams – évidemment. Par
ailleurs, formellement, le film ne parvient pas, ou ne cherche pas à se
réinventer différemment, autrement que par la réinterprétation immédiate des
moyens formels, incroyables et novateurs, déjà à l’œuvre dans et depuis le
premier film. Un hommage appuyé au Maître, vraisemblablement, mais avant
tout un constat d’échec (il est des pères plus faciles à tuer, on est d’accord)
ou un refus d’inventivité – ou les deux. Jurassic
World, c’est avant tout du cinéma d’imitateur. De faussaire chevronné,
certes, mais de faussaire quand même. Un cinéma qui croit pouvoir substituer
l’application au talent (dans le cas de Spielberg, on parlera même de génie,
hein) et remplacer efficacement des effets visuels artisanaux travaillés par
une avalanche de CGI.
On pourrait finalement résumer le film ainsi : malin
mais pas trop. Malin lorsqu’il rend compte de son époque – indigente et blasée
– et de son audience – désormais plus capable du moindre étonnement et en quête
malsaine d’un plaisir sans cesse augmenté. Une critique ni enragée ni satirique
mais toujours bonne à prendre. Reste que, malin, le film l’est beaucoup moins
lorsqu’il perpétue et s’échine justement à rendre acceptable l’idée d’un
spectacle générique, surproduit mais sous-écrit – ou pour reprendre les termes
du film lui-même « plus gros, plus méchant, plus ‘cool’ », mais
désespérément plus plat. Dès lors, le film semble condamné à rejoindre la
(longue) liste des blockbusters de monstre récents (dont les réussites pour le
moins mitigées Pacific Rim et Godzilla pourraient être les têtes de
gondole), prêts à tout pour quelques frissons (et quelques dollars) faciles,
mais vraiment pas décidés à apporter au genre du sang neuf – sans même parler
de chercher à lui redonner ses lettres de noblesse. Et c’est peut-être bien ça
qui fait le plus peur.
Jurassic World, Colin Trevorrow, 2015. Avec : Chris Pratt, Bryce Dallas Howard, Vincent d'Onofrio, Jake Johnson, Irfan Khan.