Les Huit Salopards : Le choix des armes
Ils sont au nombre de huit. Crasseux, mal élevés,
radicaux et très fiers d’eux-mêmes. Et si ces Salopards fièrement revendiqués
étaient les 8 films de Quentin Tarantino ?
Depuis 1992 et Reservoir Dogs, Tarantino trace un
sillon unique dans le cinéma américain contemporain. Les Huit Salopards est, à
l’entendre dire, son avant-dernier film avant la retraite. Soucieux de la
cohérence de sa carrière (et se fantasmant en nouveau Kubrick ?), QT a
annoncé vouloir s’arrêter au bout de 10 films. Bon, allez peut-être 11,
histoire de contenter les fans qui lui réclament un Kill Bill 3. Après, juré,
craché, il s’attaque à ses bouquins d’histoire du cinéma qu’il annonce depuis
si longtemps.
Difficile, pourtant, de croire à la vision de ces Salopards
qu’on a ici affaire à un réalisateur qui songe au repos filmique. Comme
d’autres cinéastes avant lui (Terrence Malick, David Lynch), Tarantino semble
se radicaliser avec l’âge, et c’est l’une des choses qui sautent aux yeux ici. Les Huit
Salopards est peut-être son film le plus violent, sinon le plus
pessimiste, le plus désespéré. Après Django Unchained, il confirme sa
superbe réappropriation du genre souvent caricaturé (et pourtant si foisonnant)
qu’est le western. Ce qu’il y a de véritablement passionnant, en fait, c’est de
voir à quel point ce genre infuse le cinéma de QT autant que celui-ci infuse le
western.
Par certains aspects, Les Huit Salopards peut être vu
comme un certain retour aux sources pour Tarantino. On pense beaucoup à Reservoir
Dogs, pour l’aspect théâtral (au sens le plus classique du terme, avec
l’unité de lieu et de temps) et les personnages et leurs interprètes (Tim Roth
et Michael Madsen, deux acteurs emblématiques de RD, jouent ici des
variations des gangsters troubles qu’ils incarnaient jadis). La narration
chapitrée, elle, évoque Pulp Fiction. Si l’on pense à ces
premiers efforts filmiques, c’est aussi parce que Tarantino semble
volontairement s’éloigner de ses deux derniers opus, Inglourious Basterds et Django
Unchained. Soit deux fresques ambitieuses, traitant de front des sujets
imposants, sinon difficiles (le nazisme, l’esclavage). On ne retrouve pas ici
l’aspect de long cours, de cadre historique clairement défini – ce qui ne veut
pas dire que Les Huit Salopards n’est pas une réflexion sur la période et le
lieu dans lequel il se situe. En fait, l’ambition de QT, ici, apparaît de
vouloir effectuer une synthèse de son cinéma – et c’est peut-être par ce biais
qu’il entame son chant du cygne.
On retrouve des traces de ce mélange, de cette synthèse,
dans Django
Unchained, déjà. On peut aisément scinder le film en deux parties,
chronologiquement. La première partie est celle qui voit l’ancien esclave
Django Freeman partir en compagnie d’un chasseur de primes allemand (King
Schultz) à la recherche de sa bien-aimée, revendue à un propriétaire terrien
particulièrement infâme (Calvin Candie). Cette partie peut être désignée sous
le nom de « partie Inglourious Basterds ». Les
ressorts sont les mêmes que dans celui-ci : c’est la vengeance qui se fait
le vecteur de l’histoire, et celle-ci se fait, en filigrane, le révélateur de
l’Histoire, « l’Histoire avec une grande hache », comme l’a écrit
Georges Perec.
Le film déroule ensuite une seconde partie, somme toute plus sommaire, et aussi plus jouissive – celle que l’on pourrait nommer « partie Pulp Fiction ». Ce terme est finalement moins à prendre en référence au titre du film qu’aux authentiques pulp fictions, ces magazines populaires souvent bas-de-gammes. Soucieux de définir précisément le cadre dans lequel il plaçait son histoire, Tarantino ouvrait justement son film en insistant sur la polysémie du terme pulp, dont l’une des définitions est celle-ci : « un magazine ou livre au contenu à sensation et imprimée de façon caractéristique sur du papier de mauvaise qualité ». C’est irrémédiablement à ce genre de lectures que cette seconde partie fait penser ; elle voit en effet Django et le docteur Schultz affronter un ennemi grandiloquent jusqu’à la caricature, Candie justement. C’est tout un pan de la littérature populaire qui est ici convoqué, qu’il s’agisse du Lone Ranger (redresseur de torts du temps du Far West aidé par son compagnon indien Tonto) ou du Frelon Vert (justement un héritier par le sang du Lone Ranger, lui aussi accompagné, par Kato, personnage immortalisé par Bruce Lee). Cet aspect pulp fiction a d’ailleurs été creusé par Tarantino lui-même, puisque celui-ci a fait récemment réapparaître son héros dans une bande dessinée cross-over dans lequel celui-ci fait équipe avec Zorro, héros populaire s’il en est.
Le film déroule ensuite une seconde partie, somme toute plus sommaire, et aussi plus jouissive – celle que l’on pourrait nommer « partie Pulp Fiction ». Ce terme est finalement moins à prendre en référence au titre du film qu’aux authentiques pulp fictions, ces magazines populaires souvent bas-de-gammes. Soucieux de définir précisément le cadre dans lequel il plaçait son histoire, Tarantino ouvrait justement son film en insistant sur la polysémie du terme pulp, dont l’une des définitions est celle-ci : « un magazine ou livre au contenu à sensation et imprimée de façon caractéristique sur du papier de mauvaise qualité ». C’est irrémédiablement à ce genre de lectures que cette seconde partie fait penser ; elle voit en effet Django et le docteur Schultz affronter un ennemi grandiloquent jusqu’à la caricature, Candie justement. C’est tout un pan de la littérature populaire qui est ici convoqué, qu’il s’agisse du Lone Ranger (redresseur de torts du temps du Far West aidé par son compagnon indien Tonto) ou du Frelon Vert (justement un héritier par le sang du Lone Ranger, lui aussi accompagné, par Kato, personnage immortalisé par Bruce Lee). Cet aspect pulp fiction a d’ailleurs été creusé par Tarantino lui-même, puisque celui-ci a fait récemment réapparaître son héros dans une bande dessinée cross-over dans lequel celui-ci fait équipe avec Zorro, héros populaire s’il en est.
Du sang sur la neige
Les Huit Salopards n’est pas aussi clairement partitionné que Django
Unchained. Il est plus concentré, plus resserré (voir le titre), moins
épique – quoique pas moins long. Et si Tarantino revendique de nombreuses
influences pour le film, les plus évidentes semblent venir de ses films
précédents. Comme dit plus haut, l’intrigue et la forme rappellent tour à tour Reservoir
Dogs et Pulp Fiction, mais les emprunts ne se limitent pas à cela. En
réalité, le but de Tarantino semble être de prendre d’assaut le genre du
western et ses figures imposées et d’y injecter des motifs qui peuplent son
propre cinéma depuis toujours. Le cinéaste revendiquant depuis toujours le
statut « d’auteur », rendre compte de cela n’a rien d’original, mais
QT pousse assez loin le raisonnement pour qu’on le remarque. Car Tarantino ne
remet pas en question les passages obligés incontournables de chaque western.
Il les pervertit, comme il sait si bien le faire mais, plus encore, joue avec
afin de cultiver la connivence avec le public.
En bon cinéaste postmoderne, il nous dit : « Vous avez lu Dix Petits Nègres et vu Reservoir Dogs, et vous pensez donc tout savoir de ce que je m’apprête à vous raconter ? On en reparle dans 3 heures ». Ce postmodernisme atteint ici des sommets, puisque sachant qu’une bonne partie du public connaît ses films sur le bout des doigts (le culte de Tarantino, largement entretenu par ce dernier, n’est plus à prouver), il place son film dans un cadre de cinéma délibérément post-Pulp Fiction (ce qui est incroyablement mégalo, certes, mais là encore Tarantino est connu pour l’être), où le spectateur prend comme argent comptant narration éclatée, accès de violence et faux-semblants roublards incorporés au récit. Ce qui fait la réussite des Huit Salopards peut se résumer ainsi : Tarantino marque désormais de son empreinte le genre du western aussi éminemment que le genre du western marquait jadis son cinéma. Se souvenir du fameux « mexican standoff », l’un des archétypes les plus évidents du western, dont l’une des réappropriations directes les plus éclatantes figurait dans Reservoir Dogs.
En bon cinéaste postmoderne, il nous dit : « Vous avez lu Dix Petits Nègres et vu Reservoir Dogs, et vous pensez donc tout savoir de ce que je m’apprête à vous raconter ? On en reparle dans 3 heures ». Ce postmodernisme atteint ici des sommets, puisque sachant qu’une bonne partie du public connaît ses films sur le bout des doigts (le culte de Tarantino, largement entretenu par ce dernier, n’est plus à prouver), il place son film dans un cadre de cinéma délibérément post-Pulp Fiction (ce qui est incroyablement mégalo, certes, mais là encore Tarantino est connu pour l’être), où le spectateur prend comme argent comptant narration éclatée, accès de violence et faux-semblants roublards incorporés au récit. Ce qui fait la réussite des Huit Salopards peut se résumer ainsi : Tarantino marque désormais de son empreinte le genre du western aussi éminemment que le genre du western marquait jadis son cinéma. Se souvenir du fameux « mexican standoff », l’un des archétypes les plus évidents du western, dont l’une des réappropriations directes les plus éclatantes figurait dans Reservoir Dogs.
Comme dit plus haut, Les Huit Salopards ne revendique pas
le même cadre épique qu’Inglourious Basterds ou Django
Unchained. Il ne cherche pas à attaquer de front un sujet historique de
taille pour revoir et corriger l’Histoire à sa guise. Mais la charge menée par
ces Salopards
est pourtant à peine moins lourde. Ici, c’est la violence insidieuse,
quotidienne, le racisme institutionnel, que Tarantino critique. La violence est
partout, omniprésente, guide chacun et est la motivation principale de chaque
action. Comme depuis toujours dans le cinéma de Tarantino ? Pas
exactement.
Dans ses premiers essais, la violence est presque comique, elle est là pour mettre fin à une tension montante, se fait facilement grotesque (le meurtre de Marvin dans la voiture dans Pulp Fiction). Dans Django Unchained, la violence est présente, mais elle n’a pour but ultime que la délivrance de sa bien-aimée par Django, et l’horreur est le chemin le plus court vers l’amour. Ici, la violence ne mène à rien d’autre que la violence, ne cède la place à rien d’autre. La violence engendre la violence, comme nous le dit le hip-hop depuis longtemps déjà. Même les mots censément réconfortants d’un président emblématique (Abraham Lincoln) ne sont que poudre aux yeux. Evidemment, la représentation d’une telle violence par Tarantino résonne encore profondément et malheureusement dans l’Amérique (et le monde) d’aujourd’hui.
Dans ses premiers essais, la violence est presque comique, elle est là pour mettre fin à une tension montante, se fait facilement grotesque (le meurtre de Marvin dans la voiture dans Pulp Fiction). Dans Django Unchained, la violence est présente, mais elle n’a pour but ultime que la délivrance de sa bien-aimée par Django, et l’horreur est le chemin le plus court vers l’amour. Ici, la violence ne mène à rien d’autre que la violence, ne cède la place à rien d’autre. La violence engendre la violence, comme nous le dit le hip-hop depuis longtemps déjà. Même les mots censément réconfortants d’un président emblématique (Abraham Lincoln) ne sont que poudre aux yeux. Evidemment, la représentation d’une telle violence par Tarantino résonne encore profondément et malheureusement dans l’Amérique (et le monde) d’aujourd’hui.
S’il a (volontairement) en apparence moins de
« coffre » historique que Django et Inglourious Basterds, Les
Huit Salopards aborde et raconte néanmoins l’histoire de son pays dans
sa façon de rendre compte de cette violence et ce racisme systémiques. Et
si le résultat est sans appel et que le tableau est plus que sombre, les
velléités de Tarantino à s’épanouir dans un cinéma de si haute volée finissent
néanmoins par l’emporter. Après tout, il suffit de voir la conclusion de Django
Unchained ou le sort réservé à Hitler dans IB pour s’en
rassurer : qu’importe l’Histoire, le Cinéma gagne toujours à la fin.
Les Huit Salopards (The Hateful Eight), Quentin Tarantino, 2015. Avec : Samuel L. Jackson, Walton Goggins, Jennifer Jason Leigh, Kurt Russell, Tim Roth.
Les Huit Salopards (The Hateful Eight), Quentin Tarantino, 2015. Avec : Samuel L. Jackson, Walton Goggins, Jennifer Jason Leigh, Kurt Russell, Tim Roth.
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