Super-héros partout, Justice League nulle part
« Ne pas confondre vitesse et précipitation ». Voilà un conseil
vieux comme le monde que certains auraient bien fait de se remémorer. Les
décideurs derrière Justice League, par exemple, qui ouvrent leur film avec une
succession de vignettes, comme autant de bande-annonces mal foutues, oubliant
que le processus ne convainquait déjà pas (mais alors vraiment pas) dans Suicide
Squad. On peut penser ce qu’on veut de Marvel, mais leurs films avaient
au moins eu le mérite d’approfondir un tant soit peu leurs personnages avant de
les jeter dans le grand raout rassemblant tous les super-héros maison. Ici, à
part Wonder Woman (logique, puisque c’est la seule de l’univers ciné DC
explorée pour l’instant de façon fouillée), on peine à saisir vraiment les
enjeux propres à chaque personnage. Tout est là, jeté pêle-mêle, mais on ne
comprend rien.
Il y a deux films dans Justice
League : celui de Zack Snyder et celui des financiers (très inquiets) de la Warner. Celui qui
aurait dû être et celui pour lequel les fanboys
ont milité. L’un plutôt réussi, l’autre beaucoup moins.
Monomythe
Monomythe
Sans surprise, c’est lorsqu’il
reprend l’approche de Man of Steel (MoS) et surtout Batman
vs Superman (BvS) que Justice League (JL)
convainc. Depuis toujours, ou presque, le cinéma de Snyder se base sur les
mythes – et si l’on part du principe que la même histoire se répète depuis la
nuit des temps, l’histoire de JL est soluble avec nombre d’entre
eux. Ce qui vient en premier lieu à l’esprit est l’histoire biblique,
probablement parce les références au Livre originel sont martelées avec une
finesse toute relative. Successivement Jésus (MoS) puis Dieu lui-même (BvS),
Superman devient ici Lazare, décédé et ramené à la vie par le Christ. Quant à
Batman, c’est lui qui devient Jésus, rassemblant ses apôtres pour affronter une
menace venue d’en haut.
Plus encore peut-être, c’est la
légende arthurienne qui est le plus explicitement citée. Dans sa critique de BvS,
notre confrère Aubry Salmon rappelait très judicieusement l’influence de l’Excalibur de John Boorman sur le cinéma de Snyder. Influence d’ailleurs explicitement
revendiquée, puisque, dans la scène où Thomas et Martha Wayne décèdent, le film
diffusé au cinéma n’était plus le classique Le Signe de Zorro mais… Excalibur,
dans lequel jouait déjà Ciaràn Hinds. Le récit arthurien est ici facilement transposable : Batman et ses chevaliers cherchent à mettre la
main sur un artefact aux propriétés étranges et dépassant les facultés humaines
– le Graal, donc. Le film va même encore un peu plus loin, puisqu’il se clôt
sur Batman réhabilitant son château pour y construire une table ronde
réunissant ses compagnons d’arme et « destinée
à en accueillir beaucoup d’autres ».
Monochrome
Voilà pour la partie la plus intéressante du film – la partie Snyder, vraisemblablement. C’est lorsque le film quitte ces rails que tout commence à dégringoler. Par tout, on entend des scènes d’action brouillonnes, laides et illisibles, situées dans des décors d’Europe de l’Est, plus évocatrices de n’importe quelle série B fauchée siglée Steven Seagal que d’un blockbuster à 300 millions de dollars. Des développements de personnages complètement erratiques, quand ils ne sont pas inexistants – bon courage à ceux qui devront bâtir les long-métrages suivants sur des fondations aussi bancales. Des blagues absolument pas drôles, portant principalement sur le brunch en tant que nouvelle obligation sociale (oui, vraiment). La présence de Joss Whedon au générique n’est donc absolument pas fortuite : le « DC Extended Universe » (c’est son nom) cherche à tout prix à se marveliser, courant après le fun comme un poulet sans tête – comme si cela avait déjà été le gage d’un divertissement de qualité. L’ambiance n’est d’ailleurs pas si différente du récent Thor : Ragnarok : la fin du monde est pour tout de suite, et jamais vraiment personne (héros ou spectateurs) ne prend vraiment cela au sérieux.
Voilà pour la partie la plus intéressante du film – la partie Snyder, vraisemblablement. C’est lorsque le film quitte ces rails que tout commence à dégringoler. Par tout, on entend des scènes d’action brouillonnes, laides et illisibles, situées dans des décors d’Europe de l’Est, plus évocatrices de n’importe quelle série B fauchée siglée Steven Seagal que d’un blockbuster à 300 millions de dollars. Des développements de personnages complètement erratiques, quand ils ne sont pas inexistants – bon courage à ceux qui devront bâtir les long-métrages suivants sur des fondations aussi bancales. Des blagues absolument pas drôles, portant principalement sur le brunch en tant que nouvelle obligation sociale (oui, vraiment). La présence de Joss Whedon au générique n’est donc absolument pas fortuite : le « DC Extended Universe » (c’est son nom) cherche à tout prix à se marveliser, courant après le fun comme un poulet sans tête – comme si cela avait déjà été le gage d’un divertissement de qualité. L’ambiance n’est d’ailleurs pas si différente du récent Thor : Ragnarok : la fin du monde est pour tout de suite, et jamais vraiment personne (héros ou spectateurs) ne prend vraiment cela au sérieux.
Justice League est
évidemment un grand film malade, grevé par le départ d’un réalisateur, Zack Snyder, ayant dû quitter le film dans des circonstances effroyables (sa fille
s’est suicidée). Mais pas seulement. JL est aussi un film ployant sous l’histoire
des films qui le précèdent, et de l’histoire du genre dans lequel il s’inscrit.
De l’histoire des films qui le précèdent parce que le film doit faire avec le postulat
proprement suicidaire d’un film Justice League où Superman joue les
portions congrues. Dans BvS, Snyder et co. faisaient mourir Superman…avant même de l’avoir fait exister
correctement. De l’histoire de son genre ensuite, puisque le film est assez
révélateur du paradoxe profond dans lequel le film de super-héros se trouve
aujourd’hui. Le paradoxe de films qui se veulent à la fois très réalistes (comme
lorsqu’ils font culpabiliser leurs héros pour les pertes collatérales qu’ils causent, où confient tout un tas de gadgets paramilitaires à Bruce Wayne) et
surnaturels, puisqu’ils s’inscrivent dans un monde « de fées et de fantômes » comme le dit JL lui-même. Lorsque
l’Alfred de Jeremy Irons blague sur le fait qu’il regrette le temps où « tout ce dont ils avaient à se soucier étaient
des pingouins volants », ce n’est pas seulement un clin d’œil à Batman :
Le Défi de Tim Burton : cela sonne comme une élégie à une époque
où le genre se prenait moins la tête.
Monotone
Monotone
On le sait depuis
longtemps : à force de vouloir jouer (et gagner) sur plusieurs tableaux (ici
celui du réalisme et du surnaturel) on perd sur l’un comme sur l’autre. En
cela, JL est peut-être bien le La Momie du genre super-héroïque. Ou
son Roi
Arthur, même – Guy Ritchie lui aussi concluait son film sur une Table
ronde fraîchement inaugurée. Soit deux films qui comptent parmi ce qu’on a vu
de moins convaincant en termes de divertissement de masse en 2017. Et deux
films abâtardis par leurs propres rêves de grandeur et leur désir d’une
histoire « sérialisée », découpée sur plusieurs films.
Un mot, enfin, sur l’interprétation (pour ceux qui ont eu le courage de lire jusqu’ici), à l’image du film lui-même : foncièrement inégale. Gal Gadot est, comme dans Wonder Woman, impeccable, jouant son rôle avec le bon équilibre de sérieux et d’ironie. Le film aurait gagné à plus s’appuyer sur elle – quitte à tomber dans un féminisme de surface largement opportuniste. Ses collègues le sont en revanche beaucoup moins. Ezra Miller est irritant au possible, reprenant en pilote automatique le rôle du jeune névrosé qui l’a fait connaître. L’oscarisé J.K. Simmons a l’air perdu, se disant probablement qu’il n’est pas venu ici pour
Justice League, Zack Snyder, 2017. Avec : Ben Affleck, Gal Gadot, Ezra Miller, Jason Momoa, Henry Cavill.
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