Aquaman : Restez hydratés
Sorti il y a un peu plus d’un an à peine, Justice League s’est déjà imposé comme un naufrage historique, sorte d’échelle de Richter ou de Scoville, à l’aune duquel les plantages hollywoodiens sont mesurés – et Dieu sait que l’industrie est capable de sortir des très mauvais films. Pour l’univers ciné DC Comics, JL restera également comme le film de la transition, voire celui où la Warner fut indécise jusqu’à la schizophrénie. Commencé avec Zack Snyder aux manettes, JL aurait dû être l’aboutissement de la vision mythifiante du cinéaste. En lieu et place, c’est d’un blockbuster sans queue ni tête – et pire encore, sans direction claire – que le studio accoucha. En témoigne la gestion erratique de sa colorimétrie – s’ils sont pleins de défauts, les objets snyderiens ont au moins le mérite d’avoir une patte chromatique unique ; une spécificité allègrement reniée par Warner, qui préfèrera visiblement confier la gestion visuelle du projet à un daltonien.
Aujourd'hui, Aquaman
fait fi de cet embarrassant grand frère pour aller pêcher dans son propre coin.
Même les inévitables scènes post-génériques, cache-misères censés
apporter un semblant de cohérence, ignorent le reste de la JLA.
Tout juste, ici et là, fera-t-on référence à Steppenwolf, mais pour le reste, niet – et c’est peut-être aussi bien
comme ça. D’autant que Warner n’a pas perdu au change avec son mercato
précipité : Snyder parti, le studio devait se mettre en quête de nouveaux
talents pour commander ses gros navires. Pas sûr que le studio ait encore
totalement compris comment ça fonctionne (la réalisation du futur Flash est un vrai jeu de chaises musicales), mais le choix de James Wan est une belle
prise, et une idée judicieuse. Après des débuts sanglants (Saw, Death Sentence), Wan
s’est tout simplement imposé comme l’un des meilleurs réalisateurs de
blockbusters actuels ; voir l’excellent Fast and Furious 7, le
meilleur de la saga, pour s’en convaincre. Ici, « AquaWan » persiste
et signe, et on est à milles coudées de n’importe quel « acolyte
anonyme » débauché par Disney pour mettre en scène les films du MCU, des
long-métrages formellement par trop uniformisés.
L’un des patronages les plus vraisemblables (et souhaitables) de Wan semble être James Cameron, l’homme qui a passé sa vie à filmer l’élément marin (Abyss, Titanic, ainsi que ses docu Les Fantômes du Titanic et Aliens of the Deep) et a révolutionné dont on représentait l’eau à l’écran. On retrouve parfois dans Aquaman des traces de sa façon de faire corps avec l’eau pour servir le récit. A l’opposé, certaines idées rappellent les expérimentations fluo et pas toujours jojo de Joel Schumacher période Batman et Robin. « Kitsch » est un mot qui convient bien pour définir Aquaman, depuis l’imagerie camp de l’Atlantide jusqu’au chignon rose de Patrick Wilson. Mais peut-être le sujet s’y prête-t-il.
Comparaison n’est pas raison, certes, et opposer à tout crin
Marvel et DC est à la fois vain et trompeur ; quand on regarde
d’assez près, on voit que tous ces projets-là viennent du même moule. Toujours
est-il qu’Aquaman réussit là où trois Thor avaient échoué :
rendre visible et palpable une mythologie autonome et entière, avec son
bestiaire, son histoire, ses us et coutumes. Là où Ragnarok envoyait tout
joyeusement bouler, alors que les précédents avaient à peine gratté le
vernis nordique. Jusqu’à la surdose, sans doute : au bout de 2 h 23 de
combats aquatiques harassants, on parierait notre chemise que vous n’aurez pas
envie de vous ruer sur Le Monde du Silence ou une rediff de
Thalassa. Et après ce genre de cinoche,
gras, roboratif et jouissif comme un fish
and chips, on ne saurait que trop vous recommander les fameux cinq fruits et
légumes par jour.
Aquaman, James Wan, 2018. Avec : Jason Momoa, Amber Heard, Nicole Kidman, Patrick Wilson, Willem Dafoe.
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