La Momie : Tom Cruise privé de désert


« La Momie aurait peut-être dû rester dans son tombeau » écrivait-on il y a quelques mois au sein de ces mêmes colonnes. Une erreur de notre part : « sarcophage » aurait-on dû dire, pour rester dans le champ lexical de l’Egypte ancienne. Pour le reste, on avait visé dans le mille. Pas de quoi rouler des mécaniques cependant : tout le monde ou presque s’accorde à dire que La Momie est mauvais, alors que les premiers chiffres du box-office sont largement décevants et que le « Tomatomètre » est plus bas que les taux de réussite au bac d’un lycée du 93. L’idée n’est donc plus de dire que le patient est en mort cérébrale, mais d’établir les causes du décès.

Un mauvais film, La Momie l’est assurément. C’est avant tout un mauvais blockbuster, qui jongle avec les codes du film d’action, d’aventure, d’épouvante, et d’horreur et perd sur tous les tableaux, et fait défiler les scènes comme on découpe du boudin. Plus que le scénario (creux comme une canne à pêche) ou l’interprétation (hasardeuse), ce sont le rendu visuel global et la réalisation – inexistante – qui tirent le plus le film vers le bas. Même la scène de l’avion, vendue comme LE clou du spectacle, paraît diablement anodine après cinq Mission : Impossible toujours plus acrobatiques. Pas étonnant, vu que le commandant du navire (de la galère, même) est Alex Kurtzman. Scénariste et producteur plutôt médiocre (Transformers, The Amazing Spider-Man 2, que des chef-d’œuvres), il est encore plus mauvais réalisateur, et ne parvient jamais à apposer sa patte (si tant est qu’il en ait une) sur un genre ultra-balisé. On n’ose imaginer ce qu’aurait pu faire un vrai réalisateur comme Ridley Scott (la réplique « Bienvenue dans un monde de dieux et de monstres » collerait d’ailleurs aussi très bien à Alien : Covenant) ou George Miller d’un tel bestiaire de figures chargées de tant de symbolismes. La présence de Kurtzman aux manettes est d’ailleurs probablement due à son expérience de producteur (c’est-à-dire de gestionnaire de portefeuille), signal éminemment rassurant aux yeux des studios. (La Fox vient d’ailleurs d’en faire de même avec le prochain X-Men).

Le pire dans tout cela, en fait, c’est peut-être Tom Cruise. Doté d’un personnage générique jusque dans son nom (Nick Morton), l’acteur traverse le film en somnolant, en se rappelant sans doute que dans une autre vie, il tournait avec Kubrick et Spielberg. A aucun moment La Momie ne vient enrichir la formidable persona qu’est Tom Cruise, à l’écran et à la ville, même si le film en vient à l’hypothèse déjà avancée par Entretien avec un Vampire : si Cruise est toujours en vie après tant de cabrioles, si sa forme physique reste irréprochable, c’est forcément que des forces occultes et surnaturelles sont à l’œuvre. On en vient donc à guetter les variations autour de ce qui constitue le jeu habituel de l’acteur : la voix nasillarde et enjouée, le regard alerte, le corps élastique. Dans sa tâche de réveiller un colosse endormi (le film, pas la momie), Cruise n’est guère aidé par Jake Johnson (comédien talentueux égaré dans des grosses machines vides), la transparente Annabelle Wallis (à qui il faudra penser si un biopic sur Ivanka Trump voit le jour) et Russell Crowe, qui décroche ici la palme du n'importe quoi. Désormais jamais aussi bon que lorsqu’il joue les ours mal léchés (comme dans l’excellent The Nice Guys), il se fourvoie ici totalement, en faisant de son docteur Jekyll une caricature d’acteur shakespearien raffiné, option accent bidon et petites lunettes. Et son Hyde est probablement une des pires versions du double démoniaque jamais portées à l’écran.



On a beaucoup glosé du fait que La Momie était le premier film d’un univers étendu en gestation, nommé Dark Universe, lequel inclura une faune digne d'un épisode de Scooby-Doo : Frankenstein, l’Homme Invisible, Van Helsing, le Fantôme de l’Opéra et le Bossu de Notre-Dame, entre autres. Alors que les premiers résultats au box-office sont loin d’être convaincants, certains enterrent déjà ce multivers,  mais rien ne vient pour autant assurer qu’il soit mort-né. Pour un blockbuster d’été, La Momie n’est finalement pas si cher (on l'estime à 125 millions de dollars soit, à titre de comparaison, presque deux fois moins que le dernier Pirates des Caraïbes) et la popularité internationale de Tom Cruise devrait lui permettre de connaître un succès honorable. Et le Dark Universe n’a pas nécessairement à tutoyer les cimes pour continuer d’exister : Vin Diesel et sa bande de chauves rapides et furieux rapportent à Universal des mallettes  de billets verts à chaque nouveau film – sans même parler des sagas récemment relancées, comme Jurassic World.

On pourrait se lamenter des heures de cette recrudescence de multivers (initiée par Marvel, que l’on accuse souvent de tous les maux) désormais lancés avec hâte et auxquels on met la charrue avant les bœufs – mais ce serait éluder une partie de la question. Ce qu’il faut comprendre, c’est en quoi cette tendance est révélatrice de l’évolution du cinéma de masse, et particulièrement hollwoodien. Comme toute activité génératrice de profit, le cinéma aura d’abord été fait par des amateurs tâtonnants, avant qu’elle ne soit progressivement chapeautée par des techniciens, puis des comptables, et maintenant des juristes en propriété intellectuelle. Pour rester dans un vocable technique, La Momie (comme Suicide Squad, Power Rangers, ou tout film issu d’un univers partagé en gestation) est un film conçu en ingénierie inversée, pratique qui tient de l’espionnage industriel. Le concept est relativement simple : on prend un modèle de la concurrence, on le démonte, on voit comment il marche, on tente de le reproduire. Dans les années 70, Steve Jobs le faisait avec les ordinateurs Microsoft. Le résultat final est donc un amas de clins d’œil aux films à venir, de coups de coude tendancieux, qui oublie les qualités des blockbusters Marvel (un sens inné du divertissement populaire, de vraies idées de casting) pour n’en garder que les pires défauts (un humour souvent lourdingue et des personnages superficiels). Mais qu’importe après tout, tant que ça passe ! Qu’il connaisse un succès modeste ou fasse carton plein, on voit donc mal le studio renoncer aux promesses offertes par ce Dark Universe. Oubliez les créatures à bandelettes, les lycanthropes et les scientifiques schizophrènes : rien n’est plus terrifiant que ce qu’il y a dans la tête des cadres d’Universal.

La Momie, Alex Kurtzman, 2017. Avec : Tom Cruise, Sofia Boutella, Annabelle Wallis, Jake Johnson,  Russell Crowe.

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