La Momie aurait peut-être dû rester dans son tombeau



Il est difficile de parler d’un film alors que seules quelques-unes de ses images sont visibles par le biais de sa bande-annonce. En janvier 2015, je me livrais à l’exercice, comparant les bandes-annonces de Jurassic Park et Jurassic World, « à défaut de pouvoir comparer les deux films ». Je prédisais que le film se contenterait sans doute de recycler sans beaucoup de recul les idées mises en place dès le premier volet de Spielberg, ce qui inciterait sans doute le public à réserver au film un accueil plutôt tiède – je n’ai pas l’impression de m’être vraiment trompé sur la première hypothèse mais  me suis mis le doigt dans l’œil jusqu’au coude concernant la seconde, puisque le film a dépassé le milliard de dollars de recettes et a reçu un accueil largement favorable de la part de la critique. Sans vouloir à tout prix se chercher d’excuses, on réitère : l’exercice peut être assez piégeux.


Dans le cas d'un film comme La Momie, cela semble encore plus difficile, puisque le film constituera lui-même une bande-annonce, ou en tout cas une introduction à un large archipel de films (un « univers partagé ») incluant les monstres les plus iconiques du catalogue Universal et destinés à constituer une large franchise. Ces monstres, on les connaît tous : la Momie donc, mais aussi Dracula, la créature de Frankenstein, l’Homme Invisible. Dès les années 20, Universal avait compris l’attrait du public pour les récits de monstre (voir le succès des penny dreadfuls couchés sur papier tout au long du XIXème siècle) et des potentialités de frayeur offerts par le cinématographe. Jusqu’à la fin des années 50, les films continuent de connaître un joli succès, avant de s’éteindre gentiment. Il faut dire qu’à l’orée de la décennie 60, les goûts du public ont changé ; la Guerre froide et les perspectives de conquête de l’espace le tournent plutôt vers des récits d’espionnage et de science-fiction.

En fin de siècle, Universal met en branle une nouvelle adaptation de La Momie, qui n’a plus grand-chose à voir avec les films d’épouvante d’autrefois, puisqu’elle pioche allègrement du côté d’Indiana Jones. Des scorpions mal intentionnés sont bien là pour assurer quelques frissons, mais le ton reste très orienté "famille" - le héros, Rick O’Connell, est toujours accompagné de sa femme, leur fiston, et son beauf. S’il ne réinvente jamais la roue dessinée par Spielberg au début des années 80, La Momie reste une sympathique pellicule qui tient encore la route. Ainsi l’aspect années 20-30 lui confère-t-il une atmosphère gentiment surannée, comme c'est le cas pour Dick Tracy, Le Fantôme du Bengale et The Shadow, trois adaptations de comic books s’inscrivant également dans la tendance. On ne peut néanmoins pas en dire autant de ses deux suites : le nullissime Le Retour de la Momie renvoie sans ambages et sans bonne raison ses héros chasser la même momie (d’où le titre) et un autre méchant encore plus méchant : le Roi Scorpion, interprété par un Dwayne Johnson pas encore acteur le mieux payé au monde. Sentant que la Momie et ses bandelettes commence gentiment à sentir le sapin (ou plutôt les bandelettes moisies), Universal enverra – tardivement – la famille O’Connell en tataner une autre (l’Empereur dragon) interprété par un acteur asiatique côté (Jet Li) et sous la houlette d’un réalisateur souvent efficace au box-office (un Rob Cohen post-Fast & Furious). L’opération commerciale s’avèrera fructueuse (le Roi Scorpion aura même droit à son propre spin-off, qui connaîtra lui trois suites) mais le cœur n’y est plus : Universal remet la momie dans son sarcophage et le pourtant sympathique Brendan Fraser retourne à son semi-anonymat. D’autres « vedettes » maisons connaîtront ensuite de nouvelles moutures en forme de coup d’épée dans l’eau : Van Helsing, Wolfman, Dracula Untold.

 
A voir les premières images de cette Momie cuvée 2017 portée par Tom Cruise, il est difficile de penser aux films qui l’ont précédée – qu’il s’agisse de la première ou de la deuxième période. En fait, on parierait même que celui qui tombe dessus sans savoir de quel film il s’agit aurait l’impression de voir un nouveau Mission : Impossible qui, pour se dégourdir les jambes, se serait aventuré sur le terrain du fantastique. Voyez plutôt : dans cette bande-annonce, Tom Cruise court, Tom Cruise fait des cabrioles en avion, Tom Cruise sauve le monde avec une héroïne qui a l’âge d’être sa fille.

Si cette bande-annonce n’est pas particulièrement porteuse de bons présages quant à la qualité du produit fini, elle est assez intéressante – ou en tout cas révélatrice – sur plusieurs points. Sur la carrière de Tom Cruise, d’abord. Depuis la fin de la décennie 2000, l’acteur semble avoir donné une nouvelle direction à sa carrière. Jusqu’à 2005, l’ex-Maverick semble poursuivre une seule et même obsession : accrocher sur son tableau de chasse le plus de trophées possibles, c'est-à-dire collaborer avec de grands réalisateurs. Persévérant, l’acteur tournera avec Martin Scorsese, Oliver Stone, Brian de Palma, Stanley Kubrick, Paul Thomas Anderson, Michael Mann et, last but not least, Steven Spielberg. Après Collateral et La Guerre des Mondes, ses derniers grands films à ce jour, Cruise semble être parti en pilote automatique, collaborant avec des réalisateurs plus ou moins inspirés ; souvent les mêmes d’ailleurs : Christopher McQuarrie, Edward Zwick, Doug Liman, Joseph Kosinski, tous capables du meilleur comme du pire. On sent là une volonté de jouer la carte de la sécurité, après plusieurs années de vaches maigres au box-office et d’opprobre publique. Cruise multiplie les films appelés à devenir des sagas pérennes : adaptations de série télé (Mission : Impossible), de romans de gare (Jack Reacher) et de franchises anciennes – La Momie, donc.
 

Dans La Momie, Cruise joue un militaire. Comme dans une bonne partie de ses films, de Top Gun à son prochain film, Barry Seal, prévu également pour 2017. La récurrence provient évidemment d’un choix conscient de la part de l’acteur – mais pas seulement. Dans sa critique de Suicide Squad, le journaliste David Edelstein mettait très justement en évidence le genre dans lequel s’inscrit l’ensemble des blockbusters modernes ainsi que l’idéologie qui les gouverne : « il est important de rappeler que des films comme Suicide Squad, X-Men : Apocalypse ou Captain America : Civil War sont des films paramilitaires, ayant beaucoup plus à voir avec les films sur la Seconde guerre mondiale que, disons, les premiers films Batman ou Superman. ». Au vu des premières images de cette nouvelle Momie, on se dit d’emblée qu'elle s’inscrit précisément dans la même tendance. Pire, aucune ambition visuelle ne semble émaner de celle-ci ; là encore, on pense aux films du Marvel Comedy Club. Aussi imparfaits que soient X-Men : Apocalypse ou Batman vs Superman, on ne peut leur nier l’une de leurs qualités : des univers visuels très forts (respectivement très coloré et très sombre). Chez Marvel, que l’on appelait encore récemment Maison des Idées, on navigue dans des teintes grisâtres-vert kaki, plaquées sur des décors postindustriels. On pourra arguer qu’on ne devrait pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué et attendre que cette Momie sorte avant d’en juger. Croisons les orteils.
 
Plus loin dans son article, Edelstein pointait du doigt l’hypocrisie de toute une frange de la critique qui opère d’une scission entre les « bons » blockbusters (grosso modo, ceux de Marvel et Disney) et les « mauvais » blockbusters (à peu près tous les autres) : « en termes de storytelling, Suicide Squad constitue le pire du pire, mais il ne diffère pas tant que ça du mieux du mieux. C’est toujours de la camelote à prix d’or » - on n’aurait pas dit mieux. Alors qu’elle a recruté, en plus de Tom Cruise, Russell Crowe (en Jekyll/Hyde) et Johnny Depp (en Homme Invisible) pour jouer ses héros maison, la future saga Universal Monsters nous donne en outre une idée précise de ce que sont devenus les univers partagés : un parachute vingt-quatre carats pour stars un peu décaties.

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