Loki soit qui mal y pense

 

Longtemps, il en fut réduit à jouer les utilités. Pris en étau entre des super-héros très sourcilleux de l’ordre et la morale (Iron Man, Captain America) et des ennemis aux intentions autocratiques interchangeables (Ultron, Thanos), Loki (Tom Hiddleston, élastique) a souvent eu du mal à exister pleinement dans l’univers ciné Marvel. Aujourd’hui, il entre enfin par la grande porte avec la série qui porte son nom, laquelle donne un très bon exemple de ce que font les scénaristes Marvel quand on les laisse fumer un bon gros spliff.

Dans la mythologie nordique, Loki correspond à une figure archétypale apparaissant dans nombre de cultures : celle du Fripon, ou « trickster ». Ni tout à fait humain ni pleinement divin, il est celui qui prend plaisir à semer discorde et zizanie par pur amour du désordre, à jouer des tours pendables à ceux qui détiennent l’autorité et à n’écouter que ses pulsions passagères, aussi malintentionnées soient-elles. Tel qu’analysé par l’anthropologue Paul Radin et le psychanalyste Carl Gustav Jung, il personnifie aussi l’enfant terrible qui sommeille encore en chacun de nous. Dans le folklore français, il prend la forme du Renart du fameux Roman éponyme, personnage beau parleur, menteur, voleur et bouffeur de curés.

Les légendes du bureau

La grande idée de la série est d’avoir associé ce personnage volubile, hédoniste, bisexuel, égocentrique, à une entité qui lui est en tous points opposés : la TVA, pour Time Variance Authority (ou Tribunal des Variations Anachroniques en VF), parangon de bureaucratie plan-plan où de sages fonctionnaires encravatés contrôlent les failles spatio-temporelles. Le postulat est simple : parce qu’il a ouvert une brèche dans l’espace-temps, Loki est transbahuté dans un nombre incalculable de dimensions parallèles. Dans lesquelles il sera amené à rencontrer ses « variants » ; pas ceux de la Covid, mais des versions légèrement différentes de lui-même : une qui porte les sapes des comics 60s, un alligator (pourquoi ? Pourquoi pas !) ou même une femme, avec laquelle il partagera une relation tout à fait ambiguë.

Sacré Gilliam

Le MCU a toujours été très fort pour s’inspirer de ce qui a marché ailleurs, souvent de façon plus radicale, et le passer à la moulinette super-héroïque. Il y a dix ans, déjà, on décelait les références aux buddy movies des années 80 dans Iron Man 3, ou à Rocketeer dans le premier Captain America. L’an passé, on disséquait WandaVision pour y trouver six décennies de sitcoms familiales. Dans Loki, c’est principalement au cinéma de Terry Gilliam que l’on songe. (Michael Waldron, showrunner de Loki, depuis embauché pour faire la même chose en moins bien sur Doctor Strange 2, cite aussi Twister et Before Sunrise.) D’abord parce que l’atmosphère kafkao-orwellienne au parfum dystopique de la série doit beaucoup à Brazil et sa suite spirituelle Zero Theorem. Ensuite parce que l’œuvre de Gilliam est peuplé de ces voyages bigarrés de tout crin, qu’ils soient autour du monde (Les Aventures du baron Münchhausen), spatio-temporels (Bandits, bandits, L’Armée des douze singes), psychotropiques (Las Vegas Parano) ou aux confins du cerveau humain (L’imaginarium du docteur Parnassus). Plus qu’aucun autre cinéaste, Terry Gilliam aura mené ces voyages hallucinants jusqu’au bout, jusqu’au malsain, jusqu’à le payer très cher et devenir, comme Orson Welles avant lui, un cinéaste maudit souvent mis au ban hollywoodien.

A la fois avatar d'un univers bimédia aux contours étroits dont elle forge l’avenir, tête de gondole d’un conglomérat qui gère ses propriétés intellectuelles d’une main de fer et produit d'appel pour la plateforme SVOD maison, Loki ne va évidemment jamais aussi loin que les visions dérangeantes que Gilliam laissait entrevoir en ouvrant au pied de biche les portes du temps. Reste qu’en sortant du carcan désormais imposé aux récits de super-héros de tous horizons, la série offre à son divin Fripon un écrin à sa démesure.

Loki, Michael Waldron, 2021-. Avec : Tom Hiddleston, Owen Wilson, Gugu Mbatha-Raw, Sophia Di Martino, Wunmi Mosaku.

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