Vieux pots et soupes tièdes : il était temps qu'on parle des auto-remakes Disney

 
 
«  C’est dans les vieilles peaux vieux pots que l’on fait les meilleures confitures ». Voilà un adage de grand-mère (de Bonne Maman !) qui n’est visiblement pas tombé dans l’oreille de sourds. Les financiers de Disney, peut-être ? Non content de constituer le plus grand conglomérat que l’histoire du divertissement ait connu et de pouvoir s’acheter avec les bénéfices ce qui doit représenter plusieurs fois le continent africain, la firme aux grandes oreilles (et aux dents longues) minimise depuis quelques années ses dépenses, en piochant allègrement dans son catalogue de classiques animés. Une opération d’ « intégration verticale » comme on appelle ça à Wall Street, qui fait le bonheur de certains (les actionnaires de la firme) et le désarroi de beaucoup d’autres (nous, pour commencer). La tendance méritait donc bien qu’on s’y attaque.
  

Dans le trou, du pied gauche

Exception faite de deux 101 Dalmatiens (le premier sympathique, le second immonde) restés isolés dans les 90’s, le premier « Grand Classique » maison à passer à la moulinette du remake sera Alice au pays des merveilles. A l’origine, l’idée de confier la relecture du classique halluciné à Tim Burton avait de la gueule, lui qui avait déjà su apposer ses obsessions personnelles sur un matériau hyper-balisé (Batman : Le Défi) et garder une âme de satiriste sur des films de studio (Edward aux mains d’argent, Mars Attacks !). Il n’en sera malheureusement rien : passé chez Disney, Burton « toilette » et évide son cinéma de ce qui en fait la marque et le charme. Ne restent que ses défauts les plus évidents : une direction artistique criarde et une « performance » de plus en plus crispante d’un Johnny Depp égaré. Bordel mal joué et mal emballé se finissant sur du Avril Latrine, Alice n’en sera pas moins un succès certain, puisqu’il passe la barre du désormais fatidique milliard de dollars. Il n’en faut pas moins aux pontes du studio pour avoir deux révélations : 1) que cette incroyable réussite mérite bien une suite (évident), et 2) que cet accomplissement cinématographique historique mérite bien qu’on mette en chantier d’autres remakes (auto-remakes, même) live action de Grands Classiques (un peu moins évident). Et c’est à ce moment-là que les actionnaires qui dormaient pendant le conseil d’administration se réveillent, alléchés par l’odeur des billets verts à venir.

 
Suite il y aura donc, avec l’à peine mieux Alice de l’autre côté du miroir (qui n’est pas l’adaptation littérale de la suite littéraire d’Alice), séquelle qui arrive après la bataille (6 ans), alors que tout le monde ou presque a oublié qu’un premier volet avait même existé. Pendant ce temps, Tim Burton a continué de dégringoler et Johnny Depp est devenu le nouveau Marlon Brando. Four mérité, Alice 2 fera comprendre à ses décisionnaires qu’il est peut-être temps d’avaler la pilule rouge et de reprendre ses esprits. A ce jour, une troisième volet n’est pas annoncé – ouf. Pour autant, arrêter pour les frais n’est pas un crève-cœur pour Disney ; il faut dire qu’entre-temps, la firme s’est trouvé d’autres vaches à lait. La première d’entre elles ? Maléfique, alias la méchante sorcière de La Belle au bois dormant. Parce que vous aviez toujours rêvé de savoir comment Maléfique était devenue maléfique. Non ? Tant pis pour vous. Contrairement à Alice et aux films qui suivront, Maléfique n’est donc pas une relecture stricto sensu du film originel, mais un préquel, qui restera comme la grande tendance des années 00 et 10 au cinéma (Casino Royale, Star Trek) et à la télévision (Hannibal, Better Call Saul). Réussi par intermittence sans jamais être passionnant, Maléfique fait toutefois mieux qu’Alice en imposant un univers visuel convaincant (le réalisateur Robert Stromberg est un ancien designer d’effets spéciaux, et ça se voit) et une actrice principale (Angelina Jolie) qui s’empare du rôle avec truculence.
  
 
Jolie petite histoire

Le prochain film revu et corrigé au bistouri sera Cendrillon, à ce jour le meilleur remake live action de son canon. Comme les autres franchises maison (Marvel Cinematic Universe, Star Wars), ces relectures sont devenues des machines aux intentions commerciales et artistiques réglées au millimètre, dont le niveau de réussite et d’originalité se fait à la marge. Gloire donc au studio d’avoir laissé libre cours à l’imagination de l’excellent Kenneth Branagh. S'il est capable de projets très anodins (si vous n’avez pas vu The Ryan Initiative et Le Crime de l’Orient-Express, ne vous forcez vraiment pas), Branagh reste inspiré par les films épiques de David Lean et Michael Powell, influences dans lesquelles baignaient ses adaptations de Shakespeare et, donc, ce Cendrillon. La talentueuse Lily James (Baby Driver) n’y démérite pas, mais c’est bel et bien une Cate Blanchett au sommet de son art pervers, fraîchement oscarisée pour Blue Jasmine, qui emporte le diadème. Sans doute parce que son personnage, la « marâtre » Lady Tremaine, est le plus réussi du film : à la fois flamboyant et tragique, il est, comme le Loki de Thor, de ceux que Branagh apprécie particulièrement. Si l’adjectif « shakespearien » peut être approprié pour un film Disney, c’est probablement ici.

 
Sans doute encouragé par cette expérience avec un cinéaste qui n’est pas seulement un yes man, le studio fera appel à l’égérie du cinéma indépendant David Lowery pour chapeauter son remake de Peter et Elliott le dragon. Si l’idée de refaire l’un des Classiques les moins appréciés du public pose question de prime abord, on comprend mieux à la vision du film : plus rien, ou si peu, n’a à voir avec le matériau de base – un peu comme une maison dont on aurait tout détruit à l’exception des murs. Les aspects les plus vieillots (le mélange de live action et de dessin animé à l’ancienne, une routine depuis Roger Rabbit) et les plus kitsch (les numéros musicaux, pas encore ramenés à la mode par La La Land) ont été gommés, pour laisser place à une histoire assez classique, à mi-chemin entre E.T. et L’Enfant sauvage de Truffaut, le tout flottant dans une ambiance « Americana » volontairement springsteenienne.

L'ivre de la jungle
 
La même année sort également Le Livre de la Jungle, pas la moins ardue des adaptations – pas facile de se coltiner un Baloo et un Shere Khan réels en studio. Pour ce film-là, le studio met les petits plats dans les grands, et fait plancher les petits génies de Weta Digital (les effets visuels du Seigneur des Anneaux, c’est eux) pour ce qui restera comme une date dans l’histoire du cinéma. C’est bien simple : jamais auparavant le numérique n’avait su rendre aussi palpable la moindre brise de vent, la moindre feuille d’arbre, le moindre poil d’un animal. Comme Fast and Furious 7 sorti un an avant, le film vient dire à ceux qui l’ignoraient encore que le cinéma moderne peut se passer aujourd’hui de ce qui constituait jusqu’ici sa réalité palpable – les acteurs, le moindre décor peu ou prou réel. Cet accomplissement technique indiscutable se fait toutefois au prix d’un storytelling atrophié ; piochant simultanément sur ce qui marche ailleurs (un peu d’origin story par-ci, un peu de dark par-là), ce Livre 3.0 reste éblouissant mais étonnamment creux, et les ruptures de ton finissent par faire se demander à qui il s’adresse en premier lieu. Les kids fans de l'animation, les teens fans de Nolan, les adultes nostalgiques de l’ancien ? Autant de questions bien inutiles : dans la pièce d’à côté, les actionnaires, eux, se trépignent déjà d’excitation sur leurs sièges.

 
On en vient donc à La Belle et la Bête, dernier auto-remake en date, certainement pas le plus intéressant, mais sûrement le plus révélateur quant aux intentions futures du studio. Si les films précédents venaient compléter (Maléfique) ou moderniser (Peter et Elliott le dragon) leur matériau originel, on est là dans la copie conforme. En 25 ans, et malgré le passage de l’animation au live, rien n’a bougé : ni les chansons, ni les décors, ni le ton général. Un travail de faussaire de génie, comparables à ces faux tableaux pour lesquels tombent parfois les musées réputés. Lorsque le film est bon, c’est lorsqu’il reprend en bloc ce qui faisait la réussite de l’original, en premier lieu les numéros musicaux. (Il y a deux ans et demi, on disait grosso modo la même chose de Jurassic World). Pour le dire de façon schématique, la scène du banquet est tellement géniale que, même avec un réalisateur moins talentueux que le déjà falot Bill Condon (Dreamgirls), vous taperez quand même du pied. Pour le reste, aucune réinvention, aucun apport original, aucune remise en question. Pourtant, il y avait largement de quoi : au XVIIIè siècle, le message implicite du conte était à destination des jeunes filles faisant l’objet de mariages arrangés, situation pour laquelle la métaphore bestiale était adaptée. En 2017, alors que les combat pour l’égalité des genres est plus que jamais au centre du débat, une « mise à jour » aurait été bienvenue – surtout avec la chantre du féminisme Emma Watson à bord.

Des lendemains qui chantent (en yaourt)
 
Il y a peu, le site The Playlist qualifiait le dernier film de George Clooney, Bienvenue à Suburbicon, comme d’un « karaoké Coen » (et on confirme après avoir vu le film) : ça a le goût et l’odeur des frères Coen (Matt Damon, Julianne Moore et Oscar Isaac sont au casting), c’est même recommandé par les frères Coen (ils sont crédités en tant que coscénaristes), mais ça ne reste qu’une version réchauffée et in fine sans âme de leur cinéma. Pour les auto-remakes ici dissertés, c’est un peu la même chose : une fois passée le plaisir immédiat de voir des chansons d’enfance repris par des acteurs de votre – notre – génération (Emma Watson, Scarlett Johansson), pas grand-chose ne subsiste. Pas de substantifique moelle.
 
 
Les idées (voire les complaintes) qui précèdent ne se veulent pas être du Disneybashing un peu facile ; en fait, Disney est, plus encore qu’un studio, une industrie à elle seule, et il faut éviter de tomber dans les généralités et peindre avec un pinceau trop large pour rendre compte de ce qu’elle est réellement. Disney est et reste une entreprise qui produit de bons, voire de grands films, au potentiel souvent diminué par cette obsession permanente de s’adresser aux fameux « quatre quadrants ». D’où la frustration inévitable de voir le studio s’entourer de talents certifiés pour un divertissement aussi balisé. Cela est d’autant plus rageant que la section animation traditionnelle de Disney connait depuis quelques années une période de créativité particulièrement enthousiasmante, avec des films aussi divers et foisonnants – et même progressistes – que La Reine des Neiges, Zootopie et Vaiana. Une ère que l’on désignera peut-être d’ici quelques années comme le troisième âge d’or du département. Le département live action regarde lui désespérément dans le rétro, bloqué sur des adaptations de la première (Dumbo, Pinocchio) et deuxième (Aladdin, Mulan, Le Roi Lion) périodes aurifères. Pas sûr que les lendemains chantent juste et… Mais on me dit à cet instant que plus personne n'est là ? OK, j’y vais. Je peux prendre une coupe en partant ? Il faut dire les actionnaires, grisés par les résultats financiers, ont eu la bonne idée de sabler le champagne.

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