En revenant de festival : à Chéries-Chéris, toutes les couleurs du monde

 


Rendez-vous parisien qui prend place chaque fin d’année, le festival Chéris-Chéries donne à découvrir le cinéma LGBT dans toute sa diversité. Ne vaudrait-il d'ailleurs pas mieux de « cinémas » LGBT, au pluriel ? Sans doute, tant les œuvres présentées diffèrent dans leurs sujets et leurs traitements. Sur les quelques films (six) que nous avons pu y découvrir, émergent toutefois, comme en filigrane, des résonances et des échos, ou des dialogues.

L’un des temps forts de cette 29e édition était, sans aucune doute, Kokomo City. Premier film de D. Smith, le film évoque, dans un noir et blanc tranchant et à mi-chemin de la fiction et du documentaire, le quotidien de prostituées trans aux quatre coins des États-Unis. Si le thème est un classique dans le giron du cinéma trans (voir, sur un sujet proche, le magistral Tangerine), le résultat ne ressemble à rien de ce que l’on voit habituellement. Ici, ni violons ni victimisation : Daniella, Koko, Liyah et autres filles du quartier sont montrés dans toute leur féminité, leur férocité – leur « tigritude », serait-on tentés de dire. Et, sans avoir trop l’air d’y toucher, Kokomo City dissèque bien mieux que maints films « à thèses » le racisme, la misogynie ou l’intersectionnalité. À l’intransigeante force de ces femmes répond la fragilité de l’héroïne de Blue Summer. Un premier film là encore, qui s’intéresse aux balbutiements amoureux d’une écolière chinoise issue d’un milieu modeste, foudroyée par le désir irrémissible qu’elle ressent pour une jeune fille de quelques années son aînée. Une œuvre remarquable, sensorielle, qui parvient à nous faire ressentir les émois – rien moins qu'universels – de cette enfant, portée par deux actrices excellentes, qu’il faut citer tant elles brillent : Zhou Meijun et Ziqi Huang.

 

Le festival fut également l’occasion de mettre en lumière le quotidien de personnes LGBT dans des milieux qui les rejettent, voire les persécutent. Ainsi de Comme par miracle (dont le titre original est un plus explicite : La Santa Piccola, La petite sainte), qui déroule un programme pas piqué des vers : à Naples, un jeune hétéro se découvre des sentiments pour son meilleur ami après un plan à trois avec une femme, alors que, dans le même temps, sa petite sœur a semble-t-il acquis le pouvoir d’accomplir des miracles ! Partant de là, la cinéaste Silvia Brunelli réalise une comédie à la fois tendre et jubilatoire, quelque part entre l’acidité d’un Ettore Scola et la sensibilité d’un François Ozon. Autre pays, autre contexte peu favorable – et c’est peu dire – aux LGBT : le Nigeria d’All the colours in the world are between black and white, où les relations entre personnes de même sexe sont passibles au mieux de quatorze ans de prison, au pire de lapidation. Ici aussi, pourtant, le cinéaste Babatunde Apalowo refuse de peindre un tableau trop pessimiste, en se focalisant sur la belle histoire qui naît entre deux hommes à Lagos, en dépit des carcans qu’on leur impose, presque en dépit de tout… 

 


Et puis il y a des œuvres qui portent ces contrastes en leur sein, comme c’est le cas de L’une et l’autre de Shamim Sarif, qui signe un beau retour après le très remarqué doublé The World Unseen / I Can’t Think Straight dans les années 2000 et une suite de carrière moins féconde. Narrant la relation bourgeonnante entre deux Canadiennes aux trajectoires opposées (Polarized est justement le titre VO) – l’une est une entrepreneuse accomplie de foi musulmane, l’autre vient d’une famille de « petits Blancs » ruraux déclassés –, L’une et l’autre ausculte également les bigarrures, les fractures de la société nord-américaine, à l’aune d’un chimérique melting pot. Jouer sur les dichotomies, les différences de genres – dans tous les sens du terme : cinématographique comme d’assignation – pour mieux les dépasser et les redéfinir, c’est précisément le cœur battant de Conann, dernier trip de Bertrand Mandico, qui part du personnage iconisé par Schwarzenegger pour une relecture ultraviolente et colorée. Peut-être le point d’orgue de cette très belle édition de Chéries-Chéris. Vivement l’année prochaine !

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