The Flash, chronique d'une mort annoncée

 


Imaginez que vous vous cassiez la nénette à bosser sur un devoir maison digne de ce nom, pour lequel vous avez mis pas mal de cœur à l’ouvrage. Le sujet ressemble certes à celui du voisin, mais le thème est suffisamment large pour s’amuser un peu. Et puis, quand vient l’heure de rendre votre copie, vous apprenez que le prof a avancé la date de rendu, que vous allez vous taper un zéro pointé, sans même avoir le droit de redoubler votre année. Ce scénario qui ferait perdre le sommeil à tout étudiant, c’est précisément ce qui est arrivé à The Flash, annoncé par DC et Warner Bros il y a une décennie, et victime de tant d’atermoiements qu’on ne pensait même pas écrire un jour cette notule. En creux, les rebondissements connus par ce serpent de mer sont aussi un parfait symbole d’une franchise erratique et de ses revirements de barre créatifs, lesquels auront eu raison de toutes les bonnes intentions premières.

Rendez-vous dans dix ans

Nous sommes en 2013 ; désireux de connaître le même succès que ses collègues du Marvel Cinematic Universe (MCU), le studio Warner lance un « univers partagé » mettant en vedette les pur-sang de l’écurie maison (Batman, Wonder Woman, Superman et donc Flash) dans des aventures solos avant d’aboutir très logiquement à la grande cousinade maison, celle figurant la Justice League of America. Pas grand monde, à l’époque, n’y trouve à redire. D’abord parce que le carton du MCU promet d'assurer des lendemains très lucratifs. Ensuite parce que la Warner vient d’achever la trilogie Batman chapeautée par Christopher Nolan, succès critique et public incontestable qui inaugure l’âge d’or des capés sur grand écran. Le second volet, The Dark Knight, est même alors considéré comme « le plus grand film de super-héros » - l’existence même d’une telle distinction aurait été impensable quelques années auparavant.

Pour piloter le vaisseau du DCEU, Warner fait appel au cinéaste Zack Snyder. Sur le papier, Snyder est une belle idée pour filmer Superman : son style emphatique et son esthétique sombre collent avec le souffle épique et mythique alors recherché, loin du solaire Superman Returns, qui avait mordu la poussière quelques années auparavant. Pourtant, quand Man of Steel sort, c’est la douche froide : le script est inique, les scènes de combat illisibles sont visiblement empruntées à Dragon Ball Z, sans compter qu’Henry Cavill est trop ric-rac en charisme pour fièrement porter le super-slip. Malgré cet échec relatif, la Warner continue à croire en Snyder pour orchestrer le grand affrontement qui n’avait (étonnamment) jamais eu lieu sur grand écran : Batman vs Superman. Mais, là encore, le choc des titans annoncé finit en bagarre de cour de récré ; en dépit de belles idées de casting (Ben Affleck en Batman décati, Jesse Eisenberg en Lex Luthor qui rappelle furieusement le Mark Zuckerberg qu’il a un jour été), ce film de trompe-la-mort enchaîne les idées suicidaires. Pourquoi inclure une séquence onirique en forme de prolepse à laquelle l’histoire sérialisée n’est même pas sûre de pouvoir revenir ? Pourquoi tuer Superman alors qu’il revient tout juste sur le devant de la scène ? La version longue, plus proche de la volonté initiale de Snyder, est bien mieux, mais le mal est alors déjà fait.



1-800-Suicide

Pourtant, tout ça n’est rien en comparaison de ce qui arrive. D’abord avec Suicide Squad, réalisé par David Ayer, vétéran des histoires de flics sévèrement burnés, recruté pour mettre en scène les aventures de cette escouade d’anti-héros affreux, sales et méchants. C’était sans compter sur un retournement de situation destiné à trôner au musée de la Bêtise : après l'accueil positif d’une première bande-annonce pop et colorée, Warner dépossède Ayer de son montage pour le confier à… une entreprise littéralement spécialisée dans la réalisation de teasers. Pas étonnant, dans ce cas, que le résultat final ne soit qu’un enchaînement de saynètes désincarnées à la merci de leurs interprètes, pour le meilleur (Margot Robbie) comme pour le pire (Will Smith, Jared Leto).

Ça fait du mal par où ça passe ? Le pire est pourtant encore à venir avec le grand raout tant attendu. Après la sortie du solide et éminemment sympathique - quoique très classique - Wonder Woman, Warner se lance à corps perdu dans Justice League, échec rien de moins qu’historique, dont l’univers ciné DC ne se relèvera jamais vraiment. Œuvre malade, spectaculaire point d’orgue d’une enfilade d’échecs, JL vient mettre un terme à toute velléité d’ampleur et de cohérence. Les longs-métrages suivants feront cavalier seul et constitueront quasiment des reboots des personnages concernés, qu’il s’agisse du bondissant Aquaman, du teen movie Shazam ! (pompage officieux de Big) ou de Birds of Prey, peut-être le meilleur du DCEU (c’est dire le niveau), qui ressuscite joyeusement l’esprit riot grrrl pour donner à Harley Quinn et les plus bonnes de ses copines un terrain de jeu à leur taille. La séquelle de Wonder Woman, sous-titrée 1984, prend elle une balle pour l'équipe en plein Covid et finit balancée à la sauvette sur la plateforme HBO Max. Zack Snyder n’est alors plus le boss de fin de la franchise, mais il reviendra une dernière fois pour mettre en scène sa vision de JL, humblement titrée Zack Snyder's Justice League, à la longueur interminable (4 heures, argh !) idéale pour un prochain confinement. (L’histoire de la Snyder Cut est un roman à elle seule, récit peu reluisant faite d’idolâtrie toxique, de bêtise crasse et d’idéologie nauséabonde.)

 


Lost in the multivers

La délivrance, si l’on ose dire, vient de James Gunn, emprunté à Marvel pour mettre en scène une version enfin regardable de la Suicide Squad. Et, de fait, Gunn réussit là où Ayer et Snyder avaient échoué, en proposant un spectacle à la fois accessible et radical, drôle sans être idiot, couillu sans être crâneur. La Warner, trop contente d’avoir enfin trouvé la martingale, promeut James Gunn et son producteur Peter Safran caciques de la saga. Léger problème : la vision de ces deux gus nécessite de repartir de zéro, alors même que le studio a encore des projets dans les fourneaux ! Pour la dernière salve de longs-métrages datant de l’ancien régime, dont Black Adam et le second Shazam ! (sans même parler de Batgirl, purement et simplement annulé), le studio jouera la carte du moindre effort, comme pour bien montrer à tout le monde que des flops étaient prévisibles et tourner la page, inévitable.** Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage…

Et Flash dans tout ça ? L’article n’était pas censé parler de lui ? Mais si, mais si, on y vient. Car The Flash aura bel et bien été le symbole idéal de cette indécision perpétuelle du studio et de sa quête chimérique du risque zéro. Déjà une Arlésienne depuis maintes années*, le projet est relancé en 2014, et dès lors, c’est la loi de Murphy, celle de l’emmerdement maximum : quatre réalisateurs claquent la porte pour de bien commodes « divergences créatives » avant qu’on trouve le bon. Les scénaristes se succèdent, au gré du vent et des tendances ; quand des foultitudes de Spider-Man unissent leurs forces dans No Way Home, on veut être sûr de ne pas louper le train en marche, alors on passe un coup de bigo à ceux qui ont un jour été Batman (Michael Keaton, George Clooney) ou failli être Superman (Nicolas Cage) pour se mettre les fans dans la poche. Dernière épine dans le pied d’argile, et pas des moindres : les frasques de celui qui joue Flash, Ezra Miller, successivement accusé de conduite en état d’ivresse, d’agressions et de corruption de mineurs. Gloups. Pas exactement le genre de personne que vous voulez envoyer sur les tapis rouges et les plateaux de late night pour jouer les têtes de gondole. Ironie ultime, la version finale du scénario fait que, par la grâce des voyages inter-dimensions, jusqu'à trois versions de Barry Allen, le Flash, se donnent la réplique à l'écran.



Le pire dans tout ça, c’est que The Flash n’est même pas si mauvais, et que Miller brille dans un rôle qu'il ne jouera peut-être plus jamais. On n'aurait pas l'idée, bien sûr, de crier à la nouveauté, mais Andy Muschietti honore son (très étroit) cahier des charges sans démériter. Il y a de l’héroïsme pompeux et des personnages qui se sacrifient pour le bien commun (ou l'idée que Hollywood se fait du bien commun), de l'humour bon enfant et des caméos gratuits, des gens qui expliquent des concepts pseudo-scientifiques compliqués avec des assiettes de spaghettis, des effets spéciaux criards et ce qu’il faut de bons sentiments pour faire pleurer les chômeurs. Ce n'est pas folichon mais, honnêtement, même le mieux du mieux du genre super-héroïque actuel ne vole pas cent coudées au-dessus. On parierait même notre chemise que, si The Flash était sorti à sa date initialement prévue (circa 2016), il aurait pu mettre la saga entière sur des rails bien moins fébriles. Mais contrairement à ce que prétend le film, on ne peut pas réécrire l'histoire.

Gigantesque est le fossé entre les affres de la production et l'anodine souris dont cette montagne a accouché. Dix ans de va-et-vient pour en arriver... là ? Dommage que personne n'ait eu l'idée d'attraper une caméra pour filmer un behind the scenes : cela aurait donné un savoureux documentaire digne de Lost in la Mancha... En l’état néanmoins, difficile d'y voir autre chose que le dernier râle d’une saga ayant, comme on dit en Haïti, « un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane », torpillée par le cynisme et l’inconséquence de marchands de tapis hollywoodiens. Et si, finalement, tout ça n'était qu'une erreur de packaging ? Le DC Extended Universe aurait sans doute gagné en sincérité s'il s'était d'emblée intitulé Moi y'en a vouloir des sous.

*Les tentatives d'adaptation du personnage remontent à la fin des années 80, à l'époque même de la diffusion de la série Flash. David S. Goyer, Shawn Levy et David Dobkin furent pressentis derrière la caméra et Ryan Reynolds ou Neil Patrick Harris pour jouer le rôle titre. L'origine de cette version du personnage intégrée au DCEU commence bien en 2014.

**D'autres projets DC, tels que Joker ou The Batman (et ses dérivés) évoluent dans des continuités autonomes et seront à l'avenir distribués sous le label « DC Elseworlds ». Les différents films annoncés font que jusqu'à trois (!) Jokers différents pourront cohabiter au cinéma.

The Flash, Andy Muschietti, 2023. Avec : Ezra Miller, Ben Affleck, Michael Keaton, Sasha Calle, Maribel Verdù.

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