Wonka, sucrée défense

 

 
Comprendre le cinéma de masse contemporain, hollywoodien en tête, c'est avant tout comprendre comment celui-ci est devenu un marché oligopolistique ; où quelques studios – eux-mêmes la propriété de plus gros conglomérats, dont le divertissement n'est pas toujours le métier premier – distribuent des sagas au sein desquels la « marque » déclinable auprès d'un public captif prime avant tout. Au fond, de savoir si le dernier Fast & Furious ou Thor en date est mieux ou pire que celui sorti deux ans auparavant n'est pas le plus intéressant – partir de ces films pour ausculter le changement de paradigme qu'a connu Hollywood au cours des trois dernières décennies l'est en revanche davantage. Car ce dont ces déclinaisons sans fin sont le symbole, c'est avant tout le basculement d'une économie de prototype, où l'incertitude règne, vers la fabrication de modèles en série – avec la quête du risque zéro comme seul horizon final. En somme, ce qui cloche dans le blockbuster contemporain c’est avant tout qu’il est conçu et vendu comme une paire de Nike ou un sac à main…

En matière de réadaptation et de franchisation de marques connues, Wonka est un cas d'école. Car Willy Wonka, né sous la plume de Roald Dahl en 1964, a ce paradoxe d'être une figure familière pour plusieurs générations de spectateurs (qui l'ont découverts sous les traits de Gene Wilder ou Johnny Depp) et de n'être doté, ni sur papier ni sur pellicule, d'aucun passé, d'aucun passif, d'aucune destinée, si ce n'est son obsession pour les friandises de tout crin. L'existence de Wonka ne se justifie donc qu'ainsi, jusque dans son titre explicite : exhumer un personnage iconique pour l'établir en marque lucrative, quitte à trahir son auteur originel, quitte à succomber aux sirènes de l’époque...

Car, même avec cette totale liberté laissée quant aux origines du personnage, le film se contente du minimum syndical : Willy Wonka y devient un énième héros hollywoodien, doté d'une psyché tracée à gros traits (sa maman très chère est morte quand il était enfant) et perfusé à la moraline : il paraît que c'est en croyant fort en ses rêves que l'on va loin dans la vie. Ah, vraiment ? Le script lui-même, chansons braillardes à l'appui, semble désespérément courir après son propre rythme et faire s'enchaîner juste ce qu'il faut pour tenir les 120 minutes réglementaires.

Sans la moindre goutte de sang neuf, Wonka se contente donc d’arpenter les terres labourées par ce chapelet de blockbusters (Le Retour de Mary Poppins, The Greatest Showman, Le Voyage de Docteur Dolittle) que l'on qualifierait de néo-rétro : à la fois figés dans le passé et réécrivant leur propre histoire jusqu'au révisionnisme. Quand Paul King s'en sort mieux que ses collègues, c'est lorsqu'il se laisse aller à ce qui faisait déjà toute la saveur de ses deux Paddington : cette simplicité presque poétique empruntée au muet, tout à fait chaplinienne, et ce goût de l'alambiqué, avec ses machineries improbables à la Rube Goldberg et ses conspirations de papier. Ici, c'est un « cartel du chocolat » formé par trois confiseurs véreux qui fomentent de biens vilains coups, avec l'assentiment coupable de la police.

Face à ces élites corrompues, Willy Wonka incarne, lui, toutes les valeurs de cette « décence ordinaire » (common decency) que George Orwell associait à la classe ouvrière : altruisme désintéressé, droiture morale, haine des privilèges, soif d’égalité. C'est un guide-né, mais venu d'en bas et dépouillé de tout autoritarisme – populaire mais pas populiste, pour ainsi dire. Le choix de Timothée Chalamet, avec son côté gentil garçon et sa masculinité vulnérable, accrédite d'ailleurs cette vision du personnage. On est très loin de l'interprétation grinçante de Wilder ou de celle, quasiment sociopathe, de Depp.

Mais, justement, c'est peut-être à cause de ça que l'on sort troublé de Wonka ; comme le film avait été expurgé de ses éléments les plus perturbants, comme si la part d'ombre du personnage, pourtant bien présente derrière les artifices et les fanfreluches, avait été soigneusement laissée au placard. Difficile de ne pas y voir une trahison de l’œuvre de Roald Dahl : le romancier, né en 1916 et qui avait combattu sous les drapeaux anglais lors de la Seconde guerre mondiale, était sans doute conscient des excès et des dérives pouvant guetter un homme seul régnant en despote éclairé sur un royaume – fût-ce un royaume de guimauve –, commandant des pleins bataillons d'Oompa-Loompas et châtiant les enfants pas sages... Cet indicible du personnage, sa face cachée, Wonka les laisse de côté pour plutôt proposer un bien plus fade Chocolat Show.

Wonka, Paul King, 2023. Avec : Timothée Chalamet, Hugh Grant, Olivia Colman, Paterson Joseph, Jim Carter.

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