Iron Claw, sur la corde raide

 


Cela paraît difficilement compréhensible vu d’ici mais, aux Etats-Unis, le catch est une réelle religion, avec ses déclinaisons dans chaque État, ses fanatiques et ses personnages haut en couleurs. Dans cet Église-là aussi, quelques grandes familles se passent le flambeau du pouvoir de génération en génération, comme chez les Von Erich ; le patriarche et ses quatre fils montèrent tous sur le ring dans les années 1960 à 1980, avant qu’une série de tragédies ne vienne briser ce clan.

De cette histoire vraie – bien connue des mordus de lutte mais inconnue pour à peu près tous les autres –, le réalisateur Sean Durkin, figure montante du cinéma indépendant américain, a livré un film étonnant, qui repart des lieux communs à tout film de sport, pour mieux les retourner et les dépoussiérer. Tout d’abord en révélant pour de bon le vilain petit secret du catch : oui, ceux qui s’opposent sur le ring se mettent d’accord sur les prises et les attaques avant le match. Oui, celui qui gagne est avant tout celui que les promoteurs d’un combat auront envie de mettre en tête d’affiche. Oui, c’est du chiqué, du vent – une discipline in fine plus près de l’opéra-bouffe que de la boxe anglaise… Pourtant, même dévoilé ainsi, le catch en devient à peine moins cinégénique ; ainsi, il ne s’agit plus de s’imposer à la force de ses poings mais d’avoir une histoire à raconter et d’y croire dur comme fer, de jouer avec les attentes du public et des chaînes de télé. De se vendre, dans une démarche plus proche du marketing que du sport.

Autre trope que le cinéaste pervertit : l’idée du sport comme vocation, comme appel irrésistible auquel l’athlète devra son salut. On connaît au moins depuis Rocky le sport comme moyen d’émancipation, d’ascenseur social, du néant vers le firmament. Dans Iron Claw, c’est presque l’inverse : le géniteur, Fritz, est devenu catcheur après avoir échoué à percer dans le football (américain) et il forcera ses fils à monter sur le ring à leur tour, quand bien même ceux-ci étaient bien engagés dans d’autres voies (le lancer de disques pour le cadet) ou ne rêvaient qu’à des disciplines plus lyriques (la musique pour le benjamin). Cette idée de la discipline sport comme poids mort familial, comme trou noir qui absorbe tout sur son passage, tranche résolument dans un genre cinématographique où les discours volontaristes façon et la méthode Coué font généralement la loi.

De fait, Iron Claw est sans doute le film de sport qui incarne mieux que tout autre notre époque, où le « storytelling » et les « éléments de langage » ont remplacé les grands récits politiques et religieux, où l’on est convié à tout déconstruire, la « masculinité toxique » en tête. Une tragédie américaine où des bonshommes bâtis comme des Musclor se cachent pour verser quelques larmes parce que, soi-disant, « les vrais mecs ne pleurent pas » – voir ce plan, l’un des derniers et des plus bouleversants où Kerry Von Erich (Zac Efron, sans aucun doute dans son plus beau rôle) se rend compte, le cœur brisé et le visage tuméfié, « n’être plus le frère de personne. » Que l’on saute du haut de la troisième corde ou de partout ailleurs, l’important n’est pas la chute : c’est l’atterrissage. 

Iron Claw (The Iron Claw), Sean Durkin,  2023. Avec : Zac Efron, Jeremy Allen White, Harris Dickinson, Holt McCallany,  Lily James.

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