Javier Macipe, cinéaste : "Dans mon film, je voulais montrer la lumière"

 

Cette "étoile bleue", c'est en fait un météore : Mauricio Aznar, chanteur natif de Saragosse, mort en il y a plus de vingt ans mais dont les chansons sont toujours bien vivantes. Pour son premier film, c'est au destin de cet artiste que Javier Macipe s'est attaché, pour un film loin des canons du biopic musical. Un cinéaste rencontré au Festival du cinéma espagnol de Nantes - en attendant, on l'espère, une sortie du film en France...

Connaissiez-vous la musique de Mauricio Aznar depuis longtemps ? D’où vous est venue l’idée d’adapter sa vie au cinéma ?

J’écoute cette musique depuis mon enfance : mes frères plus âgés que moi me l’avaient fait écouter. Plus tard, quand j’étais étudiant en cinéma, j’ai demandé à la mère de Mauricio l’autorisation d’utiliser sa chanson Apuesta por el rock and roll  parie sur le rock’n’roll » en français, NDR], devenue un hymne national et même international lorsqu’elle a été reprise par le groupe Héroes del Silencio.

La mère de Mauricio Aznar a donc vu mon court-métrage et il lui a plu ; elle a dû voir quelque chose en moi qui l’a incitée à me proposer de faire un long-métrage sur la vie de son fils. C’était il y a 18 ans, il y a 10 ans j’ai réellement commencé à faire des recherches sur Mauricio et son histoire, et j’ai réalisé qu’il y avait pleinement de quoi en faire un long-métrage.

Quand on adapte la vie d'une personne ayant existé se pose toujours la question de la véracité. Souhaitiez-vous rester fidèle à l'histoire ou prendre vos libertés ?

Je ne voulais pas réaliser un biopic : je trouve ces films assez ennuyeux dans leur structure – on raconte la vie d’une personne connue depuis son enfance jusqu’à sa mort. Je préférais, quitte à prendre mes distance avec la véracité historique, raconter ce qu’il y avait de plus singulier dans la vie de ce chanteur. Là, c’était son voyage en Argentine, c’était vraiment étonnant d’imaginer ce jeune rockeur avec une banane en plein milieu de la pampa argentine, de le voir découvrir une toute autre musique – qu’il transmettrait ensuite au monde entier.

D’autres parties de sa vie m’intéressaient moins, comme son addiction à la drogue. Je trouvais que ça avait déjà été tellement raconté au cinéma – dans Trainspotting par exemple – qu’il suffisait de montrer une seringue pour comprendre qu’il était sous emprise. Ce qui m’importait dans La Estrella Azul, c’était de montrer la lumière.

 


Vous vous amusez aussi à brouiller les frontières entre réalité et fiction…

Là encore, je trouve assez ridicule cette volonté des biopics à vouloir qu’une personne bien réelle soit imitée, singée. Pour que l’on croie à l’histoire, je préférais montrer les coutures du processus de fabrication. Je trouvais que ça renforçait la connexion avec le public. Pour préciser peut-être ce que j’évoquais plus tôt : tout ce qui est raconté dans le film est rigoureusement réel, mais cela me paraissait aussi intéressant de montrer aussi comment nous avions donné vie à cette représentation, cette recréation.

Dans La Estrella Azul, il y a cette citation de Don Quichotte qui dit que, lorsque quelqu’un meurt dans la vie réelle, c’est comme lorsqu’un acteur de théâtre enlève son costume – il montre son âme. C’est un peu l’idée que je me fais du cinéma : la vie est comme un carnaval et, quand on meurt, on enlève son costume. C’est à ce moment-là qu’apparaît l’âme.

Certains des personnages jouent leur propre rôle. Comment s'est passé votre travail avec eux ?

C’était quasiment la partie la plus simple à tourner ! La famille Carabajal est connue en Argentine, et ils ont l’habitude d’être devant un public. Ils n’avaient pas à surmonter cette honte que les acteurs amateurs doivent souvent affronter lorsqu’ils sont devant une caméra. On tournait chez eux, dans leur maison – c’est notre équipe de tournage qui était presque de trop.

C’était un peu comme tourner un documentaire dans la nature : on s’est caché, on a essayé de filmer la réalité telle quelle. Notre travail était aussi de leur faire apprendre un texte pour qu’ils suivent malgré tout le scénario, tout en tirant parti de cet hyperréalisme, de leur façon très naturelle de jouer. 

 


La Estrella Azul est également hantée par un fantôme, celui du chanteur Atahualpa Yupanqui. Qui est-il ? Que représente-t-il dans le monde hispanophone ?

Yupanqui étaient très connu parmi les générations antérieures à la nôtre, mais il est progressivement tombé dans l’oubli. En France, il a même côtoyé Edith Piaf, qui l’a invité à chanter à ses côtés à l’Olympia. En Argentine, c’était une icône car il a dédié sa vie à collecter et rassembler le folklore argentin, à chanter ces chansons traditionnelles en plus de son propre répertoire. Il a même tourné dans le monde entier : au Japon, en Russie, aux Etats-Unis… Il était convaincu que, quand on chante ces chansons venant du peuple, on devient le peuple. Pour moi, il était un peu le maître Yoda de cette « Force » que constitue la musique dans La Estrella Azul.

Transparaissent également dans le film les tensions entre l'Espagne et les pays sud-américains. La musique peut-elle être un moyen d'aller de l'avant, de panser les plaies ?

C’était justement l’une de mes craintes. En tant qu’Espagnol, il m’était très difficile d’oublier que les Espagnols et plus largement les Européens ont massacré les populations autochtones d’Amérique du Sud. Pour autant, lorsque je suis allé en Argentine, je n’ai pas du tout perçu de ressentiment de la part de leurs descendants. Aussi, sans doute, parce qu’on rencontre des descendants d’immigrés espagnols ou italiens, qui vivent assez mélangés aux populations autochtones.

Le folklore de celles-ci s’est brassé avec celui des immigrés successifs : la guitare, très importante dans la musique locale, vient d’Espagne. Le tambour bombo serait arrivé, lui, en même temps que les esclaves africains. Dans les paroles des chansons aussi, les légendes locales s’entremêlent avec des mythes espagnols, comme celle de la « grotte du diable », qui provient de Salamanque. Désormais, tout est bien plus diffus… C’est aussi là qu’on se rend compte de cette chance qu’a un continent entier de parler la même langue, et la même langue musicale.

Un grand merci à notre interprète Victoria Saez.

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