Creature Commandos, freaks ou voyous ?
« Rip it up and start again », comme le chantaient les rockeurs acidulés d’Orange Juice dans les années 80. On déchire tout et on recommence, donc, pour mieux tourner la page du DC Extended Universe, saga cinématographique mal fichue et erratique qui nous aura successivement consterné, diverti, fait réfléchir sur le sens de la vie, diverti encore un petit coup, stimulé créativement – avant qu’on se résolve à lui dire adieu, les yeux secs. Tu parles d’un ascenseur émotionnel.
Pour remettre d’équerre ce meuble branlant, DC-Warner a opté pour la solution de facilité : piquer à l’équipe d’en face l’un de ses meilleurs joueurs ! En l’occurrence James Gunn, architecte de la trilogie des Gardiens de la Galaxie chez Disney-Marvel, débauché pour mettre en scène le jouissif The Suicide Squad (2021), sorte de Douze salopards en Spandex, conçu pour laver les péchés d’un premier volet resté dans les mémoires masochistes.
Punk pas chien
Aujourd’hui, Gunn est ainsi devenu le grand mufti du DC Universe 2.0 et chapeaute Creature Commandos, première œuvre du « soft reboot », pour reprendre un nouveau terme en vogue à Hollywood*. Une équipe de joyeux drilles venus d’un autre monde ou ayant subi des manipulations génétiques étonnantes, stipendiés par le gouvernement américain pour combattre – et souvent succomber à – des ennemis guère moins chelous. Leurs noms : Docteur Phosphorus, Weasel ou la Fiancée (plus précisément celle de Frankenstein). Vous n’avez jamais entendu parler d’eux ? Logique : c’est depuis une décennie le modus operandi de James Gunn que d’aller extirper des gugusses méconnus à leurs pages de comic books pour en faire des stars de cinoche – comme en témoigne la trajectoire de personnages comme Groot ou Rocket Raccoon.
Dans son traitement aussi, Creature Commandos est du Gunn pur jus : comme dans ses précédentes œuvres, l’amour qu’a le cinéaste pour les freaks, les bêtes de foire, transpire à chaque instant – qui s’épanouit d’autant plus que le temps semi-long (7 épisodes de 30 minutes) propre à la série lui permet de dévoiler le parcours et le traumatisme de chacun de ses (anti-)héros. Tout cela serait sans doute sirupeux si ce n’était pas contrebalancé par l’autre pilier du cinéma de Gunn : un certain mauvais esprit, un goût punk pour le bordel et l’insubordination et même, puisqu’on n’est pas dans un film tout public, un peu de cul et de jurons bien tournés. Tout ceci dans une ambiance musicale au poil, là encore une constante chez Gunn ; après les quatre décennies de rock explorées par les trois Gardiens de la Galaxie et le hair metal de la série Peacemaker, place au gypsy punk latino-balkanique du groupe Gogol Bordello. ¡Olé!
Destin animé
N'oublions pas non plus l’identité visuelle de Creature Commandos. Il s’agit d’une série animée, et ça n’a rien d’une décision arbitraire : sous le crayon inspiré du réalisateur Balak et du studio Bobbypills (tous deux français, cocorico !), les mésaventures de cette escouade vont plus loin, sont plus folles qu’elles n’auraient jamais pu l’être avec des acteurs de chair et d’os. Un heureux accident ? Même pas : depuis quelques années, certaines des plus belles adaptations de comic books – ciné et télé confondus – sont elles aussi des cartoons, qu’elles se nomment Invincible ou Harley Quinn. A l’heure où des blockbusters « too big to fail » de plus en plus chers drainent de moins en moins de spectateurs, la réussite de ces destins animés devrait inspirer plus d’un créateur.
Une seule réserve, peut-être, concernant ce qui est une vraie éclaircie dans le ciel grisâtre du ciel super-héroïque – mais elle est de taille : avec Creature Commandos, James Gunn joue, on l’a dit, sur du velours et reste globalement dans sa zone de confort, si plaisante soit-elle. Le crash test du DC Universe, le vrai, ce sera pour dans quelques mois : Superman, qui s’envolera à nouveau début juillet après une décennie de maltraitance cinématographique par Zack Snyder et ses sbires. L’égrillard Gunn saura-t-il quoi faire avec ce boy-scout ultimement américain et indécrottablement premier degré, difficilement soluble dans la dérision et les références pop-culturelles ? Verdict rouge et bleu dans quelques mois.
Creature Commandos, James Gunn, 2024. (1 saison). Avec : Indira Varma, Alan Tudyk, Sean Gunn, Frank Grillo, David Harbour.
*Terme quasiment oxymorique qui signifie que certains personnages et événements précédemment établis (comme la série Peacemaker, également produite par James Gunn) seront conservés intacts, tandis que d'autres passeront à la déchiqueteuse. Pour ne rien arranger à notre compréhension, certains interprètes changent de personnage, comme Jason Momoa, qui jouera un dénommé Lobo après avoir campé Aquaman. Bon courage pour vous dépatouiller avec tout ceci.