Voir Black Adam et mûrir

 


Et voilà donc que déboule Black Adam, dernier avatar des héros capés qui n’en finissent plus de conquérir le monde sur tous les supports. Qui ça ? Black Adam, une espèce de double négatif, façon père Fouettard, du débonnaire Shazam, déjà adapté sur grand écran. Shazam, quoi ça ? Pour la faire courte : un type doté de pouvoirs magiques le rendant aussi balèze que Superman. Que vous ne sachiez pas qui est Black Adam n'a rien d'anormal, puisque ces spectacles s’adressent à un public amplement captif et ont largement renoncé à convertir qui que ce soit d’autre. D’ailleurs, c'est un sacré mercato chez DC-Warner en ce moment, donc rien ne nous dit que le film ne sera pas rebooté l’année prochaine ; vraiment pas de quoi s’embêter à mémoriser plein d’informations inutiles. Black Adam est aussi un costard taillé sur mesure pour une star mégalo, Dwayne Johnson, qui a bataillé dur pour que le personnage ait son propre long-métrage et ne joue pas les potiches auprès dudit Shazam. C’était bien la peine : en fin de compte, c’est la Justice Society, super-ligue cousine de la JLA, qui se retrouve à servir la soupe à Adam – en attendant de prochaines aventures, dans un très bel exemple de ce que l'on avait déjà appelé cinéma hypertexte.

Son slogan (« Le monde change. Les héros aussi. ») est peut-être la meilleure blague du film, pour ne pas dire la seule drôle. En réalité, que nenni : c’est toujours la même chose. Les recettes déjà éprouvées, entre nécessaire sang neuf (les jeunes pousses Quintessa Swindell et Noah Centineo) et vétérans en préretraite (Pierce Brosnan, toujours charmant) ; entre scènes d’action pompières et scénario rachitique. La direction artistique est aux fraises, la musique est tonitruante, les dialogues sont effroyables – on les croirait écrits par une intelligence artificielle essayant de singer tant bien que mal l’esprit humain. C’est toujours la même chose donc, et, pire encore, c’est rigoureusement pareil que chez la concurrence, Marvel. Les caractéristiques des personnages sont très similaires, jusque parfois dans leurs noms : là Falcon, ici Hawkman ; ici Atom Smasher, là Ant-Man ; là Cyclone, ici Tornade… Un affrontement existant depuis des décennies en kiosque, et qui a même parfois donné parfois lieu à de petits arrangements consanguins. « Passe-moi le multivers, je t’envoie le commando de super-méchants » comme aurait dit Nicolas Sarkozy. Et, bien entendu, rien n'est trop voué à bouger, car on voit mal pourquoi les studios bouleverseraient une formule qui vivote. Verdict ? 9/20, troisième trimestre déterminant, etc.


En dépit de ce que suggèrent les lignes qui précédent, Black Adam n’est pas un si mauvais bougre. Il est plutôt dans la moyenne, dans le ventre mou, décidément très mou, du genre super-héroïque. Après avoir écrit ces lignes, j’avoue cependant avoir été pris de sueurs froides : ce papier, je l’ai déjà écrit. Des tonnes de fois en réalité, depuis que je chronique, avec une lassitude fluctuante, les innombrables films de capés qui ont donc connu un tel essor. Reproduis-je précisément ce que je critique ? Mince alors, qui suis-je pour reprocher à ces trucs-là de lourdement bégayer, si ce que j’écris dessus se suit et se ressemble ? Plus effrayant encore : c’est à ça que ressemble mon avenir de cinéphile et de critique du dimanche, une sorte d’exercice sisyphéen, le même type de film générant la même réaction, pour toujours ? Après l’angoisse vint la légère culpabilité : si moi aussi je me répète, pourquoi m’entêter à écrire sur ces trucs-là, alors que la fréquentation des salles de cinoche n’aura jamais été aussi abyssale, et que d'autres, infiniment supérieurs, passent au cinéma (pêle-mêle : EO, L’Innocent, La Conspiration du Caire…) et que je devrais peut-être écrire là-dessus ?

Quand arriva la sempiternelle scène post-générique, dans laquelle Superman passe justement une tête, j’en étais encore plus loin dans mon délire auto-analytique, sans doute bienvenu (« qui critique les autres travaille à son propre amendement », disait justement Schopenhauer) mais vertigineux : au fait, pourquoi j’écris, pour commencer ? Qu’est-ce que je fais là ? Pour trouver un semblant de réponse, il faut toujours en revenir à Rainer Maria Rilke et ses inoxydables Lettres à un jeune poète : « Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité. » Pas sûr que je mourrais s’il m’était défendu d’écrire, en tout cas je m’en trouverais bien misérable, constat que je dois peut-être à ce film, fût-ce accidentellement… Un bel examen auto-critique et une lumineuse réminiscence rilkienne : voilà bien les dernières choses auxquelles on s’attend en allant voir un Black Adam.

Black Adam, Jaume Collet-Serra, 2022. Avec : Dwayne Johnson, Pierce Brosnan, Aldis Hodge, Sarah Shahi, Noah Centineo.

Et pour poucer, commenter, réagir à un chouette blog : Sitcom à la Maison !

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards