Purple Rain : Pop Life



Revoir Purple Rain aujourd’hui, c’est se transporter vers une ère lointaine : à la suite du succès du film en 1984, Prince est le premier artiste de l’Histoire à avoir simultanément placé en tête des charts une chanson, un album et un film – les trois étant titrés Purple Rain. C’est dire l’incroyable aura du chanteur à l’époque, porte-étendard d’une pop hybride, à mi-chemin entre le funk et des sonorités plus électriques et seul adversaire sérieux de Michael Jackson, à qui on l’opposa dans un iconique combat de titans – que le Kid de Minneapolis a aujourd’hui remporté, plus par forfait qu’autre chose.
 
Trente ans plus tard, alors que le chanteur est retombé dans un semi-anonymat (grosso modo, un album tous les trois ou quatre ans, mais pas beaucoup plus), que reste-t-il, réellement, de Purple Rain ?
Une esthétique unique, d’abord. Si elle est fortement marquée par les codes de l’époque (beaucoup de lumières fluo et de fumée, donc), le film crée son propre univers visuel, quelque part entre Disneyland et une métropole crasseuse, façon New York dans les années 70. Entre les mains de Prince et de son réalisateur, Albert Magnoli, Minneapolis devient un immense terrain de jeu, malléable, extensible à tous les fantasmes de son créateur. A ce titre, bien que le chanteur ne soit ici « que » interprète et ne soit crédité ni à la réalisation ni au scénario, son influence est partout – et l’on parle là d’un cadre plus général que la simple esthétique. Présent dans tous les plans, à la fois démiurge et destructeur, ange et démon, pygmalion et castrateur, son personnage du « Kid » est un reflet exacerbé de Prince lui-même, visiblement très conscient de l’image qu’il renvoie de lui-même et bien décidé à jouer avec. Et, paradoxalement, si le récit se présente comme une (semi-) autobiographie et n’échappe pas à certains poncifs du genre (le climat familial néfaste, l’échappatoire par la création, etc.), il ne fait, finalement, qu’épaissir un peu plus le mystère Prince. Lequel ne semble avoir eu comme mot d’ordre, tout au long de sa carrière, que de multiplier les artifices et varier les genres pour se dévoiler lui-même toujours un peu plus. Heureux et étrange paradoxe.
 
Pourtant, fondamentalement, on peut le dire sans exagération, plus grand monde ne se souvient de Purple Rain – le film. Outre les gens qui l’ont vu à l’époque, qui, à part quelques inconditionnels de Prince, pourraient voir le film aujourd’hui ? Non, ce qu’il reste véritablement du film, c’est Purple Rain (la chanson) et, à la limite, Purple Rain (l’album). Et, au fond, ce n’est peut-être que justice : meilleure chanson d’un album qui compte parmi les meilleurs (et les plus couronnés de succès) de son auteur, Purple Rain est un chef-d’œuvre de romantisme, un hymne déchirant à l’amour inconditionnel et destructeur qui illustre à merveille le film, objet hybride entre une comédie musicale classique et une romcom bizarre, entre Une star est née et Alice aux pays des Merveilles. Forcément, il faut goûter Prince pour apprécier l’objet ; plus même qu’un écrin de luxe, c’est un monument érigé à la gloire et la toute-puissance du chanteur à l’époque. Mais pour qui aime ce pop freak gentiment insaisissable, cet artiste anciennement connu sous le nom « d’artiste anciennement connu sous le nom de Prince » (son pseudonyme pendant un temps, pour des raisons légales compliquées), c’est un régal.
 
Purple Rain, Albert Magnoli, 1984. Avec : Prince, Apollonia Kotero, Morris Day, Jerome Benton.

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