Under African Skies : Chante, ô pays bien-aimé
En 1986, après l’échec
de son dernier album, Hearts and Bones, Paul Simon, chanteur en quête de
nouvelles sonorités sortait son nouvel opus, Graceland, succès immédiat,
tant auprès des critiques que du public, et que l’on peut aujourd’hui
considérer sans exagérer comme l’un des plus grands albums de tous les temps,
tous genres confondus – tout simplement. Mais le carton du disque, qui mélange
chants africains traditionnels et pop music anglo-saxonne, n’empêche pas
les polémiques d’éclater concernant les conditions de réalisation de l’album :
puisqu’il a enregistré en Afrique du Sud, alors sous le régime de l’Apartheid,
avec des musiciens Noirs sud-africains, Simon est accusé de soutenir un régime
injuste et raciste. En effet, à l’époque, l’ANC, le Congrès National Africain,
appelle au boycott (y compris culturel) du régime politique alors en vigueur
par les pays étrangers. Ces accusations – sulfureuses – marqueront durablement
Simon dans sa vie personnelle et sa carrière.
La première bonne nouvelle, c’est qu’en 2011,
pour fêter les 25 ans de l’album, Paul Simon décide de retourner en Afrique du
Sud afin d’effectuer, avec ses musiciens de l’époque, une série de concerts qui
en reprend les titres – et aussi, au passage, mettre fin une bonne fois pour
toutes aux controverses dont il fut la victime à l’époque en rencontrant ses
principaux détracteurs.
La deuxième bonne nouvelle, c’est que ce
voyage, ce pèlerinage pourrait-on presque dire, fait l’objet d’un documentaire
signé Joe Berlinger, réalisateur de fiction (Le Projet Blair Witch 2) et de docus (Some Kind of Monster, sur le groupe Metallica), qui a embarqué sa
caméra pour suivre Simon et toute sa troupe.
N’y allons pas par quatre chemins : Under African Skies est, de bout en
bout, incroyable. Un tour de force d’autant plus remarquable que le film prend a priori les atours d’un « simple »
documentaire, assez classique dans son déroulé : l’origine de chaque
chanson ainsi que leur enregistrement « chapitre » le film, tout comme le font les différentes
polémiques évoquées plus haut. Qu'est-ce qui rend, alors, ce rendez-vous en
terre inconnue incontournable ? La réponse tient en bien peu de mots :
l’émotion. Celle des chansons, d’abord, qui, rejouées pour l’occasion, prouvent
qu’elles n’ont rien perdu de leur superbe, de par leur mélancolie et leur
caractère introspectif. Celle des personnages, ensuite : Simon, bien sûr,
clown au regard triste, mais surtout les nombreux musiciens, méconnus pour qui
ne connaît pas bien la musique sud-africaine, et sur lesquels le film et Simon
lui-même ont la bonne idée de longuement s’attarder. On pense par moments au
documentaire Twenty Feet from Stardom, évocation du destin des choristes restés dans l’ombre des grands
chanteurs – d’autant que, comme dans ce dernier, les plus grands noms de la pop music
contemporaine sont venus tirer leur chapeau. Peter Gabriel, David Byrne, Paul
McCartney, Quincy Jones, tous viennent payer leur tribut à Graceland en rappelant du caractère novateur et libérateur de l’album.
Enfin, mais pas des moindres, l’émotion qui
affleure ici est celle des situations : certaines scènes, proprement magnifiques,
rappellent à quel point le genre du documentaire est précieux lorsqu’il s’en
tient à ce qui fait sa force et constitue son essence : capter le réel –
et non instrumentaliser les propos de son « auteur » (coucou Michael
Moore). Il faut voir Paul Simon et Dali Tambo, ancien leader d’Artists Against Apartheid, principale
force d’opposition de Simon à l’époque se serrer la main ou la grande dame de
la chanson sud-africaine Miriam Makeba sublimer la très belle chanson Under African Skies devant une foule
conquise. Les plus sensibles (dont fait partie sans honte l'auteur de ces lignes) y laisseront même une petite larme.
D’une richesse thématique effarante pour un
métrage aussi resserré (car oui, bien que l’on ne s’y attarde pas ici, le documentaire
est également un grand film sur la
musique comme religion, sur les tensions interraciales de tout type et même sur
les aléas du génie musical), la plus grande qualité de ce Under African Skies est avant tout de susciter l’envie d’écouter Graceland, l’album, encore et encore. Un
conseil que l’on ne peut vous enjoindre de suivre que chaudement.
Under African Skies, Joe Berlinger, 2011.