American Pimp : La rue est à nous
A l’origine d’American Pimp, il y a Pimp, fabuleux roman d’Iceberg Slim qui fut pendant un temps « le plus grand mac des États-Unis » (d’après ses propres termes), étude fascinante de ce qu’être noir aux Etats-Unis signifiait dans la deuxième moitié du XXème siècle – et signifie encore aujourd'hui. Fort du succès de leurs deux premiers films (le séisme Menace II Society et Génération sacrifiée), les frères Hughes voulaient porter à l’écran le destin hors-norme de ce génial personnage, entrant par là en concurrence avec plusieurs autres projets similaires. Mais les droits n’étaient pas disponibles, alors ils ont du se rabattre sur la perspective de réaliser un documentaire. Et finalement, le projet y gagne sans doute au change. En effet, alors que la figure du mac a progressivement contaminé la culture hip-hop (une culture elle-même devenue mainstream), pour finir par devenir indissociable du genre, voire l’un de ses poncifs, revenir sur la vraie vie de ces « gentlemen du plaisir » semble une bonne idée.
Forcément, en confiant la parole à ces original pimps (aux pseudonymes aussi colorés que Gorgeous Dre ou
Charm), le film apporte de l’eau à leur moulin, ceux-ci renforçant un peu plus
les préjugés que l’on se fait de la figure du maquereau. Ces mecs-là aiment les
grosses voitures, les belles sapes, le bling-bling et, surtout, les filles qui
travaillent bien et leur rapportent beaucoup d’argent. Tout juste doivent-ils
parfois, à les entendre, remettre celles-ci dans le droit chemin du dur labeur –
à coup de cintres, par exemple. Ironiquement, presque dans une mise en abîme, le
film confronte le point de vue des chaperons à leur représentation à l’écran,
principalement dans les films de la blaxploitation des années 70, tels que Willie Dynamite ou le bien nommé The Mack. Et leur point de vue à cet
égard est sans appel : Huggy les Bons Tuyaux n’est qu’un mythe, une
amplification grand-guignolesque de ce qu’est la réalité du métier. Soit.
Mais il y a plus que cela dans American Pimp. Tout d’abord, la bonne idée du film est de rappeler
que maquereau est un métier qui esquinte, y compris celui qui le pratique. On dit
de certains métiers qu’ils font des veuves ; ce n’est pas le cas ici mais
rares sont ceux qui à l’instar du vétéran Fillmore Slim, dont le cas est exposé
ici, pratiquent ce métier-là pendant des décennies. La concurrence fait rage
dans le pimp jeu, et la plupart des
macs finissent très souvent assassinés par un concurrent aux dents longues ou
derrière les barreaux, dénoncés par une de leurs filles. Certains – et à leur yeux, c’est sans doute
encore pire – décident simplement de se ranger des voitures, d’aller pointer au
bureau, de se marier et de faire des enfants – en somme, de devenir ce qu’ils
appellent un « cave », un noir Américain supposément asservi de plus.
Car c’est aussi là-dessus que revient en profondeur le film :
le racisme inhérent aux États-Unis, vu comme l’une des causes possibles du
rayonnement des blacks sur l’activité de mac – métier ici montré comme une
façon aussi convenable qu’une autre de s’élever sur l’échelle sociale pour une
communauté souvent méprisée. Il s’agit là du point de vue des macs eux-mêmes,
mais ils n’ont pas pour autant totalement tort : le film, dans sa seconde
moitié, revient sur l’existence de certains comtés américains où la prostitution a été légalisée
et où les bordels ont fleuri – ceux-ci étant très logiquement tenus par des
Blancs. Là, pas de doute possible, tous s’accordent à dire que l’activité
pratiquée est rigoureusement la même. Et comme presque toujours, certains ont
la loi de leur côté et les autres, non.
American Pimp, Allen & Albert Hughes, 1999.