Night Call : Le bal des vampires
Les voies du marketing sont décidément impénétrables. Alors qu’il
a pour titre original Nightcrawler
(que l’on pourrait traduire par « le rôdeur de nuit »), le
distributeur Paramount Pictures France a décidé de distribuer le film de Dan Gilroy
sous le nom de Night Call. On peut le
traduire par « l’appel de nuit », bien sûr, ce qui n’est pas
inadéquat au thème du film, mais il s’agit là avant tout d’une référence au
titre électro du même nom de l’artiste Kavinsky, qui figurait sur la bande
originale du film Drive. Clin d’œil d’emblée
renforcé par l’affiche de ce Night Call,
qui affiche fièrement « Par les producteurs de Drive »… Pourtant, jouer au jeu des comparaisons ou des 7
erreurs entre les deux films serait sans intérêt. Les deux se situent dans un
Los Angeles fantasmé et sont placés sous le même patronage, celui de Michael
Mann période Le Solitaire ou Collatéral et de Walter Hill période Driver. Les points communs s’arrêtent là. Quand Nicolas Winding Refn privilégiait la
suggestion et l’abstraction, Dan Gilroy se concentre avant tout sur le storytelling et les dialogues. On y
croise donc Louis Bloom, jeune désœuvré aux cheveux et aux dents longs. Ne sachant
que trop faire de son énergie, il s’achète une caméra et filme des scènes de
crime et d’accidents, pour ensuite revendre les images à des journaux télévisés
en quête de sensationnalisme. Son ascension sera irrésistible.
Comme la pleine lune qui ouvre et clôt le film nous le
suggère, Night Call est un film de
loup-garou, de vampires, ou du moins de créatures qui peuplent les bas-fonds de
la Californie et en constituent la faune sauvage. C’est à cette caste qu’appartient
Lou Bloom, qui œuvre pour s’élever dans la société en instrumentalisant la
misère humaine. Récit d’un self-made man jusqu’au-boutiste et inquiétant, le
film montre également l’envers de ce décor en carton-pâte que l’on nomme encore
rêve américain. C’est également une charge efficace – quoiqu’un peu convenue –
sur les dérives de la télé-poubelle et des chaînes d’info en continu. La satire
est toujours bienvenue, bien qu’elle ne propose ici réellement rien de bien nouveau.
Le personnage de Rene Russo, par exemple, n’est ni plus ni moins qu’une énième
variation de celui qu’incarnait Faye Dunaway dans Network il y a… près de 40 ans.
Mais il y a au moins deux bonnes raisons de voir Night Call. Los Angeles tout d’abord,
ville-monde cinégénique et visiblement inépuisable, et toujours aussi propice à
la mythification. Jake Gyllenhaal, ensuite, et peut-être surtout. Confirmant le
virage sombre donné à sa carrière depuis Prisoners
(et après le cryptique Enemy), il
compose un personnage à la fois bouffonesque et terrifiant, émacié à l’extrême,
et dont le caractère et les mantras faussement rassurantes ne sont pas sans
rappeler le grandiose Patrick Bateman, incarné par Christian Bale dans American Psycho. L’énergie que
Gyllenhaal insuffle à son personnage mérite largement le coup d’œil.
Night Call (Nightcrawler), Dan Gilroy, 2014. Avec : Jake Gyllenhaal, Rene Russo, Bill Paxton, Riz Ahmed.