Jurassic World : ce qui a changé à Hollywood en 25 ans (et ce que la bande-annonce du film nous en dit)
22 petites années séparent Jurassic Park de sa troisième suite, Jurassic World (désormais, on dit reboot, c’est plus vendeur). Ces vingt-deux ans sont surtout le
moyen de rendre compte de l’évolution qui a été celle de Steven Spielberg au
cours des trois dernières décennies ; quand sort Jurassic Park en 1993, Spielberg n’est « que » le
créateur génial de ces sublimes pop-corn
movies (quand on n’aime pas ça, on appelle ça un blockbuster) que sont Rencontres du troisième type, Les Aventuriers de l’arche perdue et E.T. La reconnaissance critique et les
Oscars viendront sans tarder – également en 1993 en fait, par l’un de ces grands
écarts artistiques dont le réalisateur a le secret : il fera de même en
1997 avec la suite de Jurassic Park, Le Monde Perdu et Amistad et en 2011 avec Cheval
de Guerre/Tintin.
Aujourd’hui,
alors que sort Jurassic World, s’il
n’a rien perdu de sa versatilité (ses prochains projets annoncés sont un film d’espionnage situé durant la Guerre Froide et l’adaptation d’un conte de Roald Dahl), il laisse volontiers les rênes de ses rutilantes machines à des
réalisateurs plus jeunes et plus verts que lui (ici, il s’agit de Colin
Trevorrow, remarqué pour son film de voyage dans le temps, Safety Not Guaranteed), assumant volontiers le rôle de l’oncle
bienveillant, plus prompt à la tape sur l’épaule qu’au tirage d’oreille. C’était
déjà le rôle qu’il tenait sur le troisième volet, en moins distancié sans
doute : ici, tonton Steven est crédité sous la fonction de producteur délégué,
ce qui en soi est assez flou mais veut tout dire.
En vingt-deux ans, l’industrie hollywoodienne a elle aussi
grandement changé ; on ne tombera pas dans l’écueil un peu facile de dire
que celle-ci s’est dangereusement nivelé vers le bas – mais l’idée est là.
Bien que cela ait toujours été vrai et que Hollywood n’ait jamais travaillé pour
l’amour de l’art, c’est désormais de plus en plus flagrant et de plus en plus
dur à cacher : les studios tentent désormais, crise économique globale
oblige, de faire le maximum de profit sur la base d’un minimum d’idées. Jusque
là, rien d’anormal, rien de vraiment nouveau non plus : depuis sa
création, dans une exploration continue de mythes récurrents, Hollywood a
toujours adapté à tour de bras ce qui lui tombait sous la main :
classiques de la littérature, films étrangers, mythes et légendes, comic books… Par ailleurs, comme toute
industrie, l’industrie du cinéma fonctionne de façon cyclique, guidée par les
goûts et dégoûts du public – ce qui explique, du moins partiellement, la vague
actuelle de remakes de tout poil contre laquelle beaucoup pestifèrent.
Victime collatérale de cette débilitation du contenu, peut-être la première : les bandes-annonces (désormais, on dit trailer, c’est plus hype). Autrefois censé créer du mystère et de l’excitation autour du film vendu, ils servent désormais principalement à rassurer le spectateur que ce qu’il verra dans la salle est bien ce qu’il attend, ni plus ni moins – car quand on paye une place de cinéma aussi cher que ce qu’on paye aujourd’hui, il faut bien en avoir pour son argent, non ? Dans un monde où l’information totale et immédiate règne, la bande-annonce est une machine à spoilers : pour une comédie, on y mettra volontiers les blagues les plus drôles du film (sans se soucier du contexte au sein duquel elles existent dans le film), tandis que pour un film de super-héros, on mettra en avant, musique pompière à l’appui, les effets spéciaux les plus gigantesques et les plus destructeurs. Les bandes-annonces sont désormais plus longues (en trouver une de moins de deux minutes trente est désormais un véritable exploit) et qui veut un minimum de suspense en rentrant dans la salle doit en rester fortement éloigné.
Victime collatérale de cette débilitation du contenu, peut-être la première : les bandes-annonces (désormais, on dit trailer, c’est plus hype). Autrefois censé créer du mystère et de l’excitation autour du film vendu, ils servent désormais principalement à rassurer le spectateur que ce qu’il verra dans la salle est bien ce qu’il attend, ni plus ni moins – car quand on paye une place de cinéma aussi cher que ce qu’on paye aujourd’hui, il faut bien en avoir pour son argent, non ? Dans un monde où l’information totale et immédiate règne, la bande-annonce est une machine à spoilers : pour une comédie, on y mettra volontiers les blagues les plus drôles du film (sans se soucier du contexte au sein duquel elles existent dans le film), tandis que pour un film de super-héros, on mettra en avant, musique pompière à l’appui, les effets spéciaux les plus gigantesques et les plus destructeurs. Les bandes-annonces sont désormais plus longues (en trouver une de moins de deux minutes trente est désormais un véritable exploit) et qui veut un minimum de suspense en rentrant dans la salle doit en rester fortement éloigné.
Comparer les bandes-annonces de Jurassic Park et Jurassic
World – à défaut, pour l’instant, de comparer les deux films – c’est donc
rendre compte de ce changement de mentalité de l’industrie et dans la diffusion
de l’information. Pourtant, la première chose qui frappe dans la bande-annonce de Jurassic Park premier du nom,
c’est que celle-ci n’est pas particulièrement courte (presque trois minutes). Là
ou elle est intéressante, et en un sens,
réussie, c’est parce qu’en une telle durée elle parvient remarquablement à
poser les enjeux du film, sa situation initiale et son élément déclencheur (un
parc d’attractions avec des dinosaures, super ; tout va dérailler, moins
super) sans en dévoiler ce qui fait, et ce qui faisait d’autant plus à
l’époque, le sel : les dinosaures eux-mêmes. En bon ancien VRP qu’il est,
Spielberg n’est pas idiot, il joue avec son public, lui offre des os à ronger
(ici une corne, là un œil). Mais tout ceci n’est qu’une mise en bouche, une
préparation à la magnifique et bouleversante première apparition des
dinosaures, iconisés par le puissant score de John Williams. Spielberg lui-même
n’était pas novice en la matière : on se souvient des Dents de la Mer, et son requin à l’angoissante absence, la créature
n’apparaissant qu’en relative fin de métrage.
Un tel jeu de champ/contrechamp et de présence/absence semble
visiblement avoir totalement disparu de Jurassic
World, dont la bande-annonce se contente de livrer, après une poignée
d’images hautement référentielles (un gamin innocent, un requin donné en
pâture, suivez mon regard à lunettes) de livrer, presque clé en main, le visuel de ses
dinos, là où les moyens actuels (la 3D, la performance
capture, le HFR, personne ?) aurait pu prétendre promettre à un bel
émerveillement. Après ça, la bande-annonce persiste et signe, livrant, sans
ambages, le programme à venir et ses différents rebondissements. Disposées
entre ceux-ci, à n’en pas douter, des scènes de destructions massives. Soit
comme dans 90 % des blockbusters actuels. Assez ironiquement, il y a peu,
Spielberg (ainsi que son copain George Lucas) annonçait la fin de l’ère des
gros films de studios tels qu’on la connait et la création semble-t-il
nécessaire d’un nouvel ordre en la matière, ce au sein d’une industrie qui ne
raisonne même plus en termes de blockbusters mais de tentpoles (que l’on pourrait traduire par « chapiteau »,
vocable emprunté au cirque, ce qui finalement paraît assez approprié). Et si la
fin d’une époque se faisait aussi par la relecture de l’un des films les plus
couronnés de succès de l’ex-roi d’Hollywood ?