All About Albert : Adulte ère (mode d'emploi)
C’est devenu un
poncif éculé : à chaque fois qu’un cinéaste réalise une comédie « existentielle »
ou vaguement romantique située à New York, tout le monde, critiques et public,
dégaine la référence à Woody Allen. Si la plupart des réalisateurs revendiquent
effectivement ce haut patronage, il est devenu virtuellement impossible pour
ces derniers de s’illustrer dans le genre sans qu’on les taxe, au mieux d’hommage
appuyé, au pire de plagiat pur et simple. Pour son cinquième film, All About Albert, Nicole Holofcener a
trouvé, semble-t-il, une parade : délocaliser l’action du film en
Californie, ce qui lui confère une dimension plus « ensoleillée »
(mais pas moins angoissée pour autant) et incite moins chacun à faire des
rapprochements hâtifs. Pour la forme, on rappellera quand même que l’un des démiurges
comiques les plus inspirés de ces dernières années, Judd Apatow, situe lui
aussi la majorité de ses films en Californie du Sud, mais ceci n’a pas
grand-chose à voir avec cela – et puisqu’on en parle, Apatow lui-même semble
avoir émigré sur la Côte Est, comme en atteste sa prochaine réalisation, Crazy Amy, et ses productions Girls et New York Melody.
A vrai dire, si l’on voulait à tout prix rapprocher le film d’Holofcener du
reste de la production actuelle, on serait bien embêté : sa force, c’est
justement d’aller volontairement à contre-courant de ce qui se fait aujourd’hui.
Ici, pas de passage à l’âge adulte repoussé ad
vitam æternam (le fameux « syndrome de Peter Pan »), de prise de
conscience tardive relatives au mariage et à la parentalité. Ici, les hommes et
les femmes sont déjà mariés, divorcés, parents – et luttent pour faire garder à
tout ça un semblant d’équilibre. Les dialogues du film, son rythme presque lancinant,
sont du même acabit : ici, pas de grandes déclarations outrées ou de
rebondissements théâtraux (deux tares qui donnent souvent à bien des comédies
de cinéma des airs de mauvais téléfilms) : juste une petite musique,
entêtante, quasiment répétitive – celle du quotidien qui ronronne, que l’on
aimerait bien bousculer.
Dans cette belle tentative d’injection de réalisme à
un genre balisé à l’extrême (la comédie du remariage), Nicole Holofcener est
aidée, et pas qu’un peu, par deux des acteurs les plus talentueux de l’Histoire
de la télévision américaine : Julia Louis-Dreyfus (Seinfeld), l’une des mères du comique
féminin contemporain, et James Gandolfini (Les
Soprano), décidément immense, à l’aise dans tous les rôles, surtout les
moins évidents, qui continue de nous prouver, film après film, qu’on le pleurera, lui et sa fascinante présence à l’écran, pour un
bon bout de temps encore. Leur imparable et impeccable duo formé à l’écran, ses
soubresauts, achèvent de donner une dimension douce-amère, presque
tragi-comique au film. Si l’on doutait encore que le cinéma américain (et pas
seulement indépendant) pouvait nous pourvoir de films volontairement « adultes »,
All About Albert est plus que
rassurant.
All About Albert (Enough Said), Nicole Holofcener, 2013. Avec : Julia Louis-Dreyfus, James Gandolfini, Catherine Keener, Toni Collette, Ben Falcone.