Jupiter – Le Destin de l’Univers : Au plus près des étoiles
On avait laissé les sœurs Wachowski quelque part dans un espace-temps indéterminé, entre passé et présent, ici et là-bas, dans Cloud Atlas. On les retrouve cette fois-ci, si loin si proche, à la fois sur Terre et aux confins de la Voie Lactée. Jupiter – Le Destin de l’Univers vient confirmer, après le succès des Gardiens de la Galaxie, le regain d’intérêt du public et des studios pour le space opera pur jus, genre qui avait peu à peu déserté le grand écran depuis les années 80 et avait progressivement émigré à la télévision, parfois avec la grande réussite que l’on sait (la version remise à neuf et politisée de Battlestar Galactica).
Cet intérêt retrouvé explique au moins en partie que les Wachowski fassent leur retour dans un cadre de studio (leur précédent film avait été financé entièrement par des fonds indépendants). Il explique aussi, sans doute, que le film soit une réussite plus tiède et plus mitigée que ses prédécesseurs – Cloud Atlas donc, mais aussi le décoiffant Speed Racer. Pour schématiser un peu, on dira que, très certainement pour avoir la paix (et le final cut ?) les Wacho ont volontiers mis de l’eau dans leur vin. Oubliez donc les ex-prodiges indé Emile Hirsch et Christina Ricci, accueillez les plus consensuels (et plus fades) Channing Tatum et Mila Kunis. Pour autant, que l’on se rassure, car il y a une fois encore, malgré des atours volontairement plus sexy et vendeurs, dans ce Jupiter suffisamment de ce qui fait le charme (et la force) du cinéma de la fratrie pour que l’on soit optimistes sur leur état de santé artistique. Sur la forme, le film perpétue et approfondit ce qui est depuis toujours la préoccupation principale de Lana et Lilly : tendre à créer un monde vaste et unique, débarrassé des simples concepts de réalité et de fiction, de concret et d’abstrait, de tangible et d’insaisissable.
A l’écran, cela donne une incroyable et haletante course-poursuite dans les cieux de Chicago, ainsi qu’un arsenal hallucinant d’astres et de planètes. Sur le fond, Jupiter Ascending s’inscrit également dans la droite lignée des essais wachowskiens passés, entre croyance quasi-aveugle en la notion de l’être choisi, (le fameux Élu, « the one », motif récurrent du cinéma des sœurs) et rejet en bloc et amer de l’establishment – ici, les méchants de l’histoire sont un trio de gosses de riche/fils à maman se battant pour leur héritage sur fond de trafic d’une drogue convoitée, à l’instar de l’épice dans Dune. On se souvient de la trilogie Matrix, blockbuster altermondialiste, et de Speed Racer, sans doute l’un des plus beaux cris de haine lancé à l’adresse (et financé par le biais) du système hollywoodien, qui s’était logiquement terminée par un échec cinglant au box-office mondial. Qu’elles aient les pieds à Hollywood ou ailleurs, les Wachowski continuent donc, envers et contre tout, de ne rien faire comme personne. Pour le meilleur et pour le pire. Il n’empêche : on conseille malgré tout Jupiter – Le Destin de l’Univers, rayon de soleil furtif mais bien réel dans le ciel nuageux du blockbuster contemporain.
Jupiter - Le Destin de l'Univers (Jupiter Ascending), Lana & Lilly Wachowski, 2014. Avec : Channing Tatum, Mila Kunis, Sean Bean, Eddie Redmayne, Tuppence Middleton.