Equalizer : Le discours de la méthode Denzel
Equalizer est,
parait-il, l’adaptation d’une série policière des années 80. Passée sur grand
écran, elle devient avant tout le prétexte à un thriller sommaire, typique du
cinéma d’action américain post-Jason Bourne, ainsi qu’aux figures archétypales
(voire caricaturales) et aux bons vieux relents vaguement xénophobes. Une
constante dans un certain nombre de genres qui peuplent l’imaginaire
cinématographique US, du western au film de guerre. En même temps, les
prérogatives d’un cop show
pantouflard 80’s étaient-elles compatibles avec celles de l’actioner contemporain ? Rien n’est
moins sûr.
La rue est à lui
La rue est à lui
Robert « Bob » McCall est donc un justicier
nocturne. Pas de ceux qui portent cape et masque, mais qui s’assurent quand
même que le boulot soit fait – et que les rues soient propres. Il aimerait bien
passer ses soirées à bouquiner et à ressasser le décès de sa femme, mais voilà,
des vilains Russes s’en prennent à une prostituée au grand cœur. Il est donc,
bien malgré lui, obligé de sortir de sa retraite technique pour aller
distribuer des coups de tatane. Le plaisir (ou l’absence de ce dernier, si ce n'est le dégoût) que l’on prend devant Equalizer
consiste de fait à voir McCall dévoyer de leur usage quotidien un nombre
incalculable d’objets : un tire-bouchon, un livre, etc. Des scènes
d’action amusantes et ludiques à défaut d’être vraiment innovantes, correctement
mis en scène par un fantassin plus à l’aise dans le défouraillage que dans le
tir de précision : Antoine Fuqua, dont la filmo brouillonne culmine
avec un Training Day largement
surestimé.
Derrière une apparente modernité (le héros propose ses services de redresseur de torts sur les réseaux sociaux et l’on donne à l’ensemble une tonalité « street » pour faire comme dans les bonnes séries télé 00’s), l’affrontement martial et surtout idéologique est toujours le même : comme si la Guerre froide n’avait jamais cessé d’exister, les grands méchants sont encore et toujours des oligarques soviétiques. Les démoniaques Russes communistes ont néanmoins laissé place aux démoniaques Russes capitalistes. La différence est de taille, certes. Les auteurs, chaussés de leurs plus gros sabots, vont même jusqu’à baptiser le « boss » des méchants (comme on dit dans les jeux vidéos)… Vladimir Pushkin ! Reste qu’on ne s’en plaindra qu’à moitié, puisqu’il y a dix ans, c’étaient les Français qui jouaient ce rôle de punching-ball.
Du cinéma primal et efficace, donc. A la fois à la limite de l’acceptable en termes d’idéologie (l’auto-défense, la justice par soi-même au détriment de la justice, tout ça) et toujours aussi plaisant à regarder malgré le côté purement répétitif de l’ensemble. Comme toujours en fait. Ou presque ; c’est-à-dire quand il n’y a pas un Peckinpah pour emballer ça avec génie ou un Verhoeven pour donner du recul à ces affrontements barbares. Une certaine frange de la critique ou du public opère d’ailleurs parfois une certaine distinction entre un film comme celui-ci et d’autres, semblent-ils moins reluisants sur tous les tableaux (au hasard : la trilogie Taken). A tort, vraisemblablement : des films comme Taken et des films comme Equalizer sont en tous points comparables – certains sont juste un peu mieux joués et parviennent un peu mieux à cacher la maigreur de leur propos derrière leurs artifices.
Derrière une apparente modernité (le héros propose ses services de redresseur de torts sur les réseaux sociaux et l’on donne à l’ensemble une tonalité « street » pour faire comme dans les bonnes séries télé 00’s), l’affrontement martial et surtout idéologique est toujours le même : comme si la Guerre froide n’avait jamais cessé d’exister, les grands méchants sont encore et toujours des oligarques soviétiques. Les démoniaques Russes communistes ont néanmoins laissé place aux démoniaques Russes capitalistes. La différence est de taille, certes. Les auteurs, chaussés de leurs plus gros sabots, vont même jusqu’à baptiser le « boss » des méchants (comme on dit dans les jeux vidéos)… Vladimir Pushkin ! Reste qu’on ne s’en plaindra qu’à moitié, puisqu’il y a dix ans, c’étaient les Français qui jouaient ce rôle de punching-ball.
Du cinéma primal et efficace, donc. A la fois à la limite de l’acceptable en termes d’idéologie (l’auto-défense, la justice par soi-même au détriment de la justice, tout ça) et toujours aussi plaisant à regarder malgré le côté purement répétitif de l’ensemble. Comme toujours en fait. Ou presque ; c’est-à-dire quand il n’y a pas un Peckinpah pour emballer ça avec génie ou un Verhoeven pour donner du recul à ces affrontements barbares. Une certaine frange de la critique ou du public opère d’ailleurs parfois une certaine distinction entre un film comme celui-ci et d’autres, semblent-ils moins reluisants sur tous les tableaux (au hasard : la trilogie Taken). A tort, vraisemblablement : des films comme Taken et des films comme Equalizer sont en tous points comparables – certains sont juste un peu mieux joués et parviennent un peu mieux à cacher la maigreur de leur propos derrière leurs artifices.
Une originalité, cependant, et pas des moindres. Une
bizarrerie, presque ; car Bob McCall est interprété par Denzel Washington. Et
bien que l’une des versions du script prévoyait Russell Crowe (qui lui avait
donné la réplique dans American Gangster),
celle-ci n’est écrite sur mesure que pour lui. On s’explique : comme bon
nombre des personnages interprétés par Denzel, McCall est un personnage qui
parle. Beaucoup. De tout et de n’importe quoi. Ici, ce sont Ernest Hemingway et
le passé trouble de son adversaire de jeu qui sont le prétexte à ses
divagations et ses monologues, entre autres. Ce don oratoire, profondément
ancré dans l’ADN des personnages denzeliens, achève de rapprocher le personnage
non pas d’un quelconque vendeur de tapis mais bel et bien d’un prédicateur de
talent. Et ce n’est pas un hasard : Washington est lui-même fils de
pasteur et a longtemps envisagé une carrière similaire à celui-ci, avant de
finalement succomber aux sirènes des planches et de la pellicule. En fait,
selon ses propres dires, faire de la prédication son métier le démange encore,
et déclamer des discours par le biais de grands orateurs (Malcolm X en tête) est
le moyen le plus honnête qu’il a trouvé de le pratiquer.
Ce n’est donc pas un hasard si son second film en tant que réalisateur se nomme Les grands débatteurs. Et ce n’est sans doute pas un hasard non plus si l’un des meilleurs films de sa carrière récente (Flight) mettait un personnage à la moralité exemplaire (un pilote d’avion héroïque) dans une position retorse pour un tel personnage, à savoir une où, soudainement muré dans son silence, il devait se justifier et se repentir de ses pêchés par la parole. La bizarrerie, elle se situe là : cette volonté de parler et cette aisance oratoire tranche grandement avec le tout-venant au sein d’un genre ou nombre d’acteurs récitent leurs répliques la mâchoire serrée, confondant rigidité et sérieux, minimalisme et effacement. Dire que Denzel Washington est la meilleure raison de voir Equalizer (et d’autres films encore) tient donc du doux euphémisme.
Equalizer, Antoine Fuqua, 2014. Avec : Denzel Washington, Marton Csokas, Chloé Grace Moretz, Bill Pullman, Melissa Leo.
Ce n’est donc pas un hasard si son second film en tant que réalisateur se nomme Les grands débatteurs. Et ce n’est sans doute pas un hasard non plus si l’un des meilleurs films de sa carrière récente (Flight) mettait un personnage à la moralité exemplaire (un pilote d’avion héroïque) dans une position retorse pour un tel personnage, à savoir une où, soudainement muré dans son silence, il devait se justifier et se repentir de ses pêchés par la parole. La bizarrerie, elle se situe là : cette volonté de parler et cette aisance oratoire tranche grandement avec le tout-venant au sein d’un genre ou nombre d’acteurs récitent leurs répliques la mâchoire serrée, confondant rigidité et sérieux, minimalisme et effacement. Dire que Denzel Washington est la meilleure raison de voir Equalizer (et d’autres films encore) tient donc du doux euphémisme.
Equalizer, Antoine Fuqua, 2014. Avec : Denzel Washington, Marton Csokas, Chloé Grace Moretz, Bill Pullman, Melissa Leo.