I Can't Dance - La Danse du Robot (Genisys et la saga Terminator)

  
Et la palme de l’ineptie revient à… Terminator Genisys ! Au milieu d’une saison estivale pour le moment franchement médiocre, faite de reboots superflus et de blockbusters paresseux (pour ne pas dire franchement antipathiques), le dernier-né des Terminator fait fort, très fort, en s’imposant comme une relecture totalement ratée, à la réalisation d’une laideur insigne et au casting à côté de la plaque. Il témoigne surtout de la pente artistique ascendante sur laquelle se situe la saga depuis un bon moment et de revirements de barre créatifs devenus au fil des années aussi compliqués que la chronologie désormais indigeste mise en place dans les films. En somme, c’est l’épitome d’une franchise devenue poussive qui manque depuis désormais longtemps d’un vrai bon renouveau…

Soyons sympa, rembobinons : en 1984, James Cameron, alors réalisateur totalement inconnu (son seul fait d’armes à ce jour constitue Piranha 2), met un grand coup de pied dans la porte du cinéma de science-fiction avec son Terminator, porté par un culturiste autrichien à l’accent imbitable et pas beaucoup plus connu. Le film casse la baraque, tape dans l’œil d’à peu près tout le monde à Hollywood et constitue aujourd’hui encore (attention, spoiler) le meilleur film Terminator qui soit. Il génère aussi trois mythes en devenir : Cameron, Schwarzenegger et le Terminator lui-même. A l’instar d’un George Lucas, Cameron a de la suite dans les idées en ce qui concerne son bébé robotique mais, comme Lucas, les moyens techniques de l’époque ne lui permettent pour l’instant pas de donner suite de manière satisfaisante au film. Pas grave : il se trouvera un autre cheval de bataille, Aliens en l’occurrence, suite tardive du classique de Ridley Scott. Le film est la première suite réalisée par un auteur qui semble en raffoler (comme en témoigne les 3 suites d’Avatar actuellement dans les tuyaux) et qui, ça tombe bien, peut désormais, au début des années 90, donner libre cours à son imagination débridée et à ses fantasmes visuels. La suite, on la connaît : Terminator 2 : Le Jugement dernier est un succès historique, achève de faire rentrer Cameron dans le cercle des très puissants d’Hollywood et son statut de chef-d’œuvre ultime de la SF ne lui est plus contesté par grand-monde. Et c’est peut-être bien ça le problème.
 

Car avec T2, Cameron ouvre inconsciemment (ou consciemment, on ne saurait trop dire, finalement), l’ère d’un cinéma hollywoodien plus préoccupé par des effets spéciaux de plus en plus performants dans l’imitation du réel et de moins en moins soucieux de raconter une histoire qui tienne la route. Bon, on l’admet : il ne serait rien de moins qu’exagéré de tenir Cameron comme père spirituel de certaines des créatures les plus déviantes qu’Hollywood créera cette décennie-là (Michael Bay et ses copains filmeurs à la caméra tremblotante semble-t-il atteinte de Parkinson). Il n’empêche : le film, un poil longuet, pêche par son aspect purement répétitif de l’intrigue du premier, en dépit d’un attirail d’effets visuels décoiffants.  Les qualités et les défauts de ce T2 seront repris en bloc dans le nullissime Terminator 3 : Le Soulèvement des machines qui, sous couvert d’un argument alléchant (filmer l’Apocalypse par Skynet) se prend les pieds dans le tapis , la faute à de fausses bonnes idées de scénario (le « méchant » du film est exactement similaire au T-1000 du précédent, si ce n’est qu’il s’agit d’une femme bien gaulée) et une réalisation plus qu’approximative signée Jonathan Mostow (Clones).
 
Le film suivant, lui, prend une direction toute autre : Terminator Renaissance, tente, comme son nom l’indique, de donner un nouvel élan à la franchise, palliant l’absence d’un Schwarzenegger devenu Gouvernator par un casting rajeuni plus ou moins de qualité (dans le désordre : Christian Bale, le Dark Knight de Nolan ;  Sam Worthington, engagé suite aux conseils de Cameron lui-même, qui le fit tourner dans Avatar, ainsi que l’horripilante Bryce Dallas Howard, fille de Ron). S’il a le mérite de renouveler un peu les thématiques de la franchise (le soulèvement des machines a eu lieu et les hommes tentent désormais de survivre tant bien que mal) et est porté par une mise en scène correcte (pourtant assurée par un chantre du mauvais goût, McG alias Mr. Charlie et ses drôles de dames), ce Terminator-là louche pour autant sans vergogne sur la copie du voisin : un peu de la trilogie du Dark Knight, donc, pour le sérieux papal, et surtout beaucoup de Mad Max, pour l’aspect « post-apo ». Il faut également ajouter à cette liste la série télé Les Chroniques de Sarah Connor, diffusée entre 2008 et 2009. Déjà, à l’époque, les créateurs de celle-ci savent qu’il va être dur de raccorder tous les paradoxes temporels avec ceux de la tétralogie ciné – mais après tout pourquoi pas ? Dans les comic books, diverses chronologies situées dans des dimensions parallèles parviennent à cohabiter (plus ou moins) harmonieusement. Une solution de facilité, certes, mais qui témoigne surtout de la richesse des interprétations pouvant être données à une même situation de départ (la mort des parents de Bruce Wayne, par exemple, réinterprétée sous toutes les coutures sur papier et sur pellicule). Cette facilité à oublier le passé, à en faire table rase, pour en donner sa propre version des faits, Terminator Genisys en abuse d’ailleurs plus qu’il n’en use. Malheureusement, ce n’est pas là le moindre de ses défauts.
  
On ne rentrera pas en détail sur les histoires de droits d’auteur qui sont à l’origine du pourquoi et du comment de ce nouveau film. Toujours est-il qu’il nous est ici demandé d’ignorer purement et simplement les événements des deux derniers films. Car Genisys lui, visiblement pas satisfait de ce qui a été entrepris dans Le Soulèvement des machines et Renaissance, prend la suite directe de Terminator 1 & 2, se mesurant du même coup à James Cameron. Oui, rien que ça ! Étonnamment d’ailleurs, Cameron s’est autoproclamé fan numéro 1 de Genisys. Logique, finalement, l’imitation étant la plus belle forme de flatterie. Reste qu’avec un réalisateur talentueux aux manettes, cela aurait pu aboutir à quelque chose de sympathique et bêta, une suite-plagiat pas désagréable, à l’image de Jurassic World, également sorti cet été. Même pas : ici, on doit se contenter d’Alan Taylor, le faiseur sans envergure et transparent déjà à l’œuvre sur Thor : Le Monde des Ténèbres. Preuve que celui-ci semble n’être ici que pour exécuter des ordres (sans queue ni tête) venus de plus haut, il a lui-même désapprouvé la direction prise par la communication faite autour du film – dans les bandes-annonces, le retournement de situation (par ailleurs totalement crétin) censé apporter du piquant au film était dévoilé tout de go.
 
De fait, ce n’est pas du cinéma « d’auteur » ou même de producteur, mais de responsable d’effets visuels et de publicitaire. Un camouflet total, qui peine à déguiser ses intentions réelles derrière un emballage convenable. Car ce n’est pas le Guide du scénariste débutant qu’ont ici lu les auteurs, mais plutôt celui du Cuisinier paresseux : ils balancent tout ce qui fait de près ou de loin l’ADN de la saga Terminator (les voyages dans le temps, l’intelligence artificielle, des blousons en cuir dans tous les sens, …) dans un mixer, sans se soucier du goût ou de la dégaine générale du produit fini. Les acteurs eux-mêmes semblent à côté de leurs pompes : il ne suffit pas de caster Emilia Clarke (Game of Thrones) et Jai Courtney (qui devient habitué des suites indignes après Die Hard 5), deux acteurs en vogue, pour faire oublier les prestations mémorables de Linda Hamilton (Sarah Connor) et Michael Biehn (Kyle Reese). Au milieu de ce maelstrom sans âme, surnage (un peu) Schwarzenegger. Plus à l’aise ici que dans ses récentes séries B (Sabotage, Evasion), pour la plupart plus que tièdes, il tente, tant bien que mal, de relever le niveau général. Les punchlines délivrées à froid, l’œil qui frétille, les blagues autoréférentielles, … Pas de doute, Schwarzie connaît encore son job. Encore heureux, dirons-nous. Car ici, le Chêne autrichien joue quand même sacrément à domicile. Mais pour encore combien de temps ? Quand on sait que sont annoncées des suites au mythique Conan le Barbare et au nanar Jumeaux (avec Eddie Murphy en troisième triplé !), on peut bel et bien se demander si le pire ne reste pas encore à venir.


Mais ce qui fait le plus de peine à la vision de ce Genisys, c’est en réalité, le retard avec lequel celui-ci semble débarquer sur le marché sursaturé du blockbuster. Là où, dans les années 80 et 90, Cameron donnait le « la » en termes de storytelling et de maîtrise des effets (et le donne encore, d’une certaine façon), Genisys semble arriver hébété, largué, obligé de pomper sur ce qui est tendance pour être à la page. Ici, on se retrouve donc face à un énième film de super-héros, aux personnages interchangeables, aux intrigues bâclées et aux effets visuels envahissants. Rageant quand on connaît le potentiel de l’univers ouvert par Cameron il y a maintenant plus de trente ans. Plutôt que de l’exploiter pleinement, le film se contente de surfer sur la vague, incapable de réagir face à sa propre ringardise. « Vieux mais pas obsolète », comme le dit le film ? Permettez-nous d’en douter.
 
Vous voulez voir un (bon) film récent sur l’intelligence artificielle ? Regardez Ex Machina, porté par les excellents Oscar Isaac et Domnhall Gleeson et la sublime Alicia Vikander. Vous voulez voir Schwarzenegger s’illustrer dans un registre différent ? On vous conseille plutôt la vision de Maggie, dans lequel Arnold livre l’une des performances les plus touchantes de sa carrière. Même la réflexion sur les moyens de communication modernes (on y découvre, ô surprise, que la prise de contrôle du monde par Skynet a été facilitée par la place laissée par chacun de nous aux réseaux sociaux et autres applications quotidiennes) paraît déjà complètement moisie. Hélas, trois fois hélas. Grand penseur s’il en est, Marx (pas Groucho, l’autre) a écrit un jour : « tous les grands événements sont voués à se répéter deux fois. La première fois, c’est une tragédie, la seconde, une farce ». On ne peut que donner raison à l’ami Karl, mais subsiste toutefois une question : qu’en est-il de la cinquième ?

Terminator : Genisys, Alan Taylor, 2015. Avec : Arnold Schwarzenegger, Emilia Clarke, Jason Clarke, Jai Courtney, J.K. Simmons.

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