Shaft : Le meilleur d'entre eux

  
Plus grand-monde ne se souvient du titre français (Les Nuits Rouges de Harlem), un peu tombé en désuétude, ni même de l’intrigue générale du film, mais le personnage, lui, est resté dans toutes les mémoires. John Shaft (mémorable Richard Roundtree), sa coupe afro, son mythique imper de cuir, son thème iconique (interprété par un Isaac Hayes au top de sa forme, pas encore Chef de South Park ou apôtre de la Scientologie). Tout ça, ou presque, tient aujourd’hui de la légende ciné, pour un héros qui en annonce bien d’autres, du personnage éponyme interprété par Sam Jackson dans le remake 90’s (Shaft, justement) au Django de Tarantino.
 
Les flics (blancs) tentent tant bien que mal de faire de lui un indic, les gangsters (noirs) aimerait bien l’embobiner pour qu’il lave leur linge sale, les femmes (noires et blanches) le courtisent : Shaft est sur tous les fronts – et gagne sur tous les tableaux, évidemment. Mais plus encore qu’un héros charismatique de ce genre ou sous-genre qu’on a pu appeler blaxploitation, John Shaft est avant tout une figure idéalisée de l’homme noir américain tel que l’on pouvait le concevoir à l’époque. Ni Black Panther ni refourgueur de drogue ou proxénète, il échappe de fait aux clichés généralement véhiculés par une (grande) partie des médias et de l’opinion publique encore aujourd'hui.
 
Apolitique, il est avant tout là pour faire triompher la justice pure et dure et au passage, si possible, prendre du bon temps. Respecté et craint de tous, il symbolise celui qui s’est élevé dans la société à la seule force de ses bras, musclés, et de son esprit de déduction, aiguisé. Moralement irréprochable, il est aussi, cerise sur le gâteau, irrémédiablement cool. Le portrait ici dressé est sans doute irréaliste, mais la partie, elle, est déjà remportée : sur ses larges épaules, Shaft porte un film par ailleurs très efficace et fortement recommandable, dont on s’étonnerait presque qu’il ait aussi peu souffert des années passées. Le succès du film a donné lieu à deux suites, la seconde voyant, presque logiquement, son héros s’exiler en Afrique pour délivrer ses frères du joug des trafiquants d’esclaves. Une évolution du personnage qui en dit long sur la puissance d’action du héraut de ce qui fut pendant des années un véritable black soft power.

Les Nuits rouges de Harlem (Shaft), Gordon Parks, 1971. Avec : Richard Roundtree, Moses Gunn, Charles Cioffi, Christopher St. John, Gwenn Mitchell.

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