Star Wars - Le Réveil de la Force : Un bon coup de pied au culte


J.J. Abrams n’a peur de rien. C’est ce qu’on se dit à la vision de ce Star Wars new age. Non content d’avoir déjà ravivé une franchise moribonde (Star Trek), le père d’Alias enfile les chaussures (un peu trop grandes pour lui) de George Lucas dans cette suite plus qu’attendue du Retour du Jedi, Le Réveil de la Force. Un signe (inquiétant) que les icônes de notre pop culture moderne sont de moins en moins vivaces et désormais aux seules mains d’une poignée de marionnettistes ? Probablement, mais ceci est une autre histoire.

Abrams, on le sait, aime se réapproprier les travaux des autres. Des quatre films qu’il a réalisés avant cet épisode 7, un seul (Super 8) était adapté d’un scénario original, les autres étant respectivement (soyez prêts) : la suite de l’adaptation d’une série télé des années 60 (Mission : Impossible – III), le reboot de l’adaptation d’une série télé des années 60 (Star Trek) ainsi que la suite du reboot de l’adaptation d’une série télé des années 60 (Star Trek Into Darkness). Voilà pour les précisions techniques. Mais réduire Abrams à un plagiaire, un vulgaire copiste ne serait pas tout à fait exact. A l’instar d’un Shyamalan avant lui, Jeffrey Jacob connaît surtout ses classiques : son Super 8, justement, est une déclaration d’amour enflammée au cinéma de Steven Spielberg, sa série Fringe est un remake inavoué de X-Files et l’ombre de tonton Alfred (Hitchcock) plane en permanence au-dessus de son œuvre. Sans même parler de Lost, véritable maelstrom de références tous azimuts fait série. A la vision du Réveil de la Force, on comprend même exactement pourquoi c’est lui qui a été choisi pour tenir les rênes du bulldozer Star Wars, alors qu’une flopée de réalisateurs tous peu ou prou plus talentueux que lui – Brad Bird, David Fincher, Guillermo Del Toro – étaient en lice.

Car l’objectif du Réveil de la Force était délicat, et même au moins double. D’abord, parvenir à faire oublier l’imparfaite « prélogie » (les épisodes I, II et III), témoin manifeste des années d’errance de George Lucas, sorte de Jerry Rubin des cinéastes, auteur singulier réincarné en comptable chevronné. Ensuite, renouer avec le fameux « esprit Star Wars », souvent utilisé pour décrire ce qui fait l’essence de la première trilogie et d’un groupement de films chapeautés par les mêmes types à la même époque (citons pêle-mêle : la première trilogie, Indiana Jones, E.T., Retour vers le futur, Les Goonies). Cet esprit Star Wars, ou plutôt cet esprit Amblin, est assez simple à résumer, mais finalement difficile à dupliquer. Il mêle, dans le désordre, aventure trépidante, humour premier degré, héros bravache (idéalement interprété par Harrison Ford) et sommaire psychologie freudienne (tomber amoureux de sa sœur, ce genre de choses). Sans Spielberg et Lucas, pas de blockbuster moderne – on s’en réjouira ou s’en attristera, au choix.


Pour ce qui est de renouer avec cet esprit Star WarsLe Réveil de la force s’avère relativement capable. Ce n’est pas un hasard : la recette qu’elle s’applique à mettre en œuvre est précisément ce qui constituait le coup de poker d’Un nouvel espoir en 1977, et qui manquait cruellement à la prélogie : ce sont avant tout des personnages que l’on voit évoluer à l’écran, pas des stars, et les enjeux sont clairement posés, rapidement résumés et similaires à ceux que l’on connaît.  L’intrigue même est une resucée bigger & louder (cahier des charges du blockbuster 2.0 oblige) de celle d’Un Nouvel Espoir. Évidemment, qui vient s’aventurer en ces terres pour y trouver d’éminentes qualités cinématographiques sera déçu : le tout est visuellement bluffant, mais loin d’être révolutionnaire – Abrams confirme néanmoins son sens de la perspective et du gigantisme – et le scénario court parfois un peu à la facilité ; voir le traitement réservé au personnage pourtant crucial d’Han Solo, réintroduit de façon assez peu naturelle. Mais lesdites qualités cinématographiques n’ont en réalité qu’un rôle secondaire, sinon moindre, lorsqu'on discute d’un film comme Star Wars. On le sait désormais, un film est aussi et surtout un produit, a fortiori lorsqu'on est hébergé chez Disney. Un produit d’appel, qui n’est qu’un prélude à tout ce qui l’entoure : le merchandising, les questions laissées en suspens, le brouhaha des voix (critique et public réunis) qui disserteront à foison sur le film. En un mot : le culte.

En effet, la raison d’être du Réveil de la Force est évidemment celui-ci : convertir de nouvelles générations à la religion Star Wars (car c’est bien de cela qu’il s’agit), leur faire accepter sa mystique et sa dialectique, sans se mettre à dos les dévots et les ayatollahs.  C’est précisément sur ce point que le film s’avère être une réussite : parvenir à naviguer entre l’archaïsme du contenu (le fameux « monomythe » de Joseph Campbell) et les moyens dernier cri du contenant, à concilier la simplicité (voire la naïveté) du message et les ressources mobilisées pour le véhiculer. Si l’on juge la réussite d’un film comme Star Wars à nous faire croire – ne serait-ce qu’un instant – que ce storytelling vieux comme le monde est celui de demain, le succès est sans appel. Et si on la juge à l’aune de sa capacité à se faire ruer des millions de fidèles sur un tas de produits « dérivants » et tout ce qui constitue l’univers étendu, il s’agit même d’un chef-d’œuvre.

Star Wars VII : Le Réveil de la Force (Star Wars VII : The Force Awakens), J.J. Abrams, 2015. Avec : Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac, Harrison Ford, Carrie Fisher.

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