Show me a Hero : Notre quotidien dérisoire


« Donnez-moi un héros et je vous écrirai une tragédie. » (Francis Scott Fitzgerald)

Cette citation, qui donne son nom à la nouvelle mini-série « de prestige » (réalisateur oscarisé, casting de premier plan) de David Simon (The Wire, Treme), on la retrouve dans Show me a Hero dans la bouche d’un journaliste éberlué par le manque de connaissances littéraires de son interlocuteur, un conseiller politique. Comme c’était le cas dans la cinquième et ultime saison de The Wire avec les journalistes du Baltimore Sun, c’est en réalité sa propre voix (d’ex-reporter) qu’il fait entendre. Celle d’un observateur aussi objectif que possible dans sa façon de relater des événements propre au déclin d’une ville américaine.

Lorsqu’il est élu à la tête de la ville de Yonkers (état de New York), Nick Wasicsko devient le plus jeune maire d’une grande cité américaine. Une consécration qui annonce en réalité un avenir bien sombre, puisqu’il sera sorti de ce poste dès les élections suivantes. Une colère causée par l’impossibilité de Wasicsko et son équipe de trouver une solution à ce qui gangrène la ville depuis des années : la crise du logement. En effet, dès le début des années 80, un juge ordonne aux dirigeants de Yonkers de construire des logements sociaux pouvant accueillir des foyers à revenu modeste. Évidemment, cette injonction ne va pas sans provoquer des remous et fait resurgir d’inévitables tensions raciales, lesdites familles étant pour la plupart africaines-américaines.

En dépit des objectifs affichés et du prestige de l’emballage, Show me a Hero (SMAH) n’est ni The Wire ni Treme. Elle n’a pas le vertige politique et la fulgurance du premier et ne dégage pas non plus la même émotion brute que le second. Cela pour des raisons très simples : l’une comme l’autre sont des séries qui prennent du temps (à saisir, parfois même à apprécier) et prennent leur temps. The Wire et Treme, en dépit de leurs différences formelles (leurs rythmes très différents, principalement), racontent des histoires complémentaires qui finissent par former un tout. La première raconte la lente déliquescence d’une ville (Baltimore) et par ricochet d’un pays (les États-Unis) qui constatent avec effarement les résultats de décennies de politiques approximatives, en matière de système scolaire ou industriel au sens large. Treme, quant à elle, est le récit d’une ville (la Nouvelle-Orléans) touchée par une catastrophe (l’ouragan Katrina) qui n’a rien de naturelle, puisque ses conséquences les plus dévastatrices proviennent elles aussi d’une gestion publique déplorable. Ces deux récits au long cours comme des vases communicants : à l’étouffement de la première répond l’espoir inhérent à Nola de la seconde. Après le bourbier des années Bush et post-11 septembre, les États-Unis se surprennent à espérer de nouveau avec l’élection d'Obama.
 
D’une durée concise (6 heures), SMAH ne peut  prétendre à une telle peinture au long cours du tissu social et d’une société entière. Pourtant, bien conscient de ce temps réduit qui lui est imparti, il tente autre chose. En 5 saisons, The Wire démontrait surtout de l’aspect cyclique qui règne au sein de la société.  Dans les dernières secondes de son mémorable épilogue, on voyait un ex-camé revenu de tout trouver un semblant d’équilibre familial tandis qu’un gamin paumé prenait sa place dans la chaîne alimentaire de la drogue. Dans SMAH, on retrouve finalement moins cette idée de cercle (vicieux ou vertueux, cela dépend) que celle de surplace. Les maires et conseils de divers horizons politiques, élus tous les deux ans, se succèdent tandis que piétinent autour d’eux la crise du logement et les problèmes raciaux, alors que la justice peine elle aussi à faire entendre sa voix. Une réplique de l’un des personnages, l’une des figures de proue de la lutte contre l’implantation des logements sociaux à loyer modéré, donne une idée assez précise de la métaphore qui est celle de la série. Contrainte à une corvée ménagère, elle fait remarquer à son mari résigné : « On déblaie cette allée, et on la déblaie encore, et pourtant la neige continue toujours de revenir ». Né poussière, tu redeviendras poussière – et chacun balaye devant sa porte.
 
Le traitement du personnage de Nick Wasicsko participe du même effort : s’il devient l’une des têtes de gondole du parti démocrate à une échelle nationale en accédant très jeune à la mairie d’une grande ville, il ne parvient pas à transformer toute sa bonne volonté et son énergie juvénile en quelque chose de concret, et lorsqu’il est sorti lors des élections, il ne parvient pas à accéder de nouveau à un poste qualitatif, finissant en bout de course plus ridicule qu’autre chose. Loin de se terminer avec sa fin tragique, les instabilités politiques et sociales qui avaient grevé son mandat continueront de plus belle. Le temps passe et tout périclite, les espoirs meurent, écrasés par la société. Les ambitions de chacun deviennent un cauchemar holiste. On pense à cette phrase de Virgile : « Le temps fuit inexorablement tandis que nous restons prisonniers de notre quotidien dérisoire ».

Ce traitement des questions raciales et même immobilières de SMAH n’est pas tout à fait nouveau dans l’œuvre de David Simon. En fait, on a même presque parfois l’impression de regarder un prequel de The Wire (qui en avait eu un vrai, de préquel, avec The Corner), tant l’incapacité des pouvoirs publics à accoucher de politiques cohérentes en la matière a débouché sur une situation invivable raconté de façon si brillante par la fresque de Baltimore. SMAH s’apparente à un purgatoire en gestation, là ou The Wire décrirait une sorte d’enfer sur Terre. Un enfer qui débouchera, ne serait-ce que temporairement (au cours de la troisième saison), sur un paradis artificiel et forcément voué à l’échec : les fameuses « free zones », espaces de défonce libres de droit.

S’il n’a pas l’acuité politique immédiate de The Wire, SMAH n’en demeure pas moins un document précieux sur les années de fin de mandat de Barack Obama que nous sommes en train de vivre. La méthode est connue : conjuguer son récit au passé pour mieux parler du présent, voire le critiquer. Dans une interview donnée aux Inrockuptibles en 2011, David Simon se montrait assez explicite quant à son ressenti sur l’élection de Barack Obama : « Je ne pense pas que nous soyons dans une situation qui puisse être résolue par la seule intervention d’un homme providentiel ». Paul Haggis, ici réalisateur, et par ailleurs cinéaste plutôt engagé sur les questions politiques et raciales (Dans la Vallée d’Elah, Collision) avait émis des critiques encore plus prononcées sur le futur ex-président américain, notamment concernant sa gestion du conflit irakien
 
Après l’histoire d’un déclin dans The Wire et celle d’un renouveau dans Treme, SMAH pourrait être le récit d’une gueule de bois, d’un espoir déçu ou d’une atteinte inquiète, c’est selon. Moins documentaire et plus romanesque que les deux séries précitées (l’influence thématique et formelle du Fitzgerald précité, auteur de Gatsby le Magnifique, est très palpable) parvient, y compris en dépit de quelques défauts manifestes, à s’imposer comme un nouveau chapitre essentiel dans la sériographie de David Simon, qui mérite toujours autant son titre d'« homme le plus en colère d’Amérique ».

Show me a Hero, David Simon, 2015. Avec : Oscar Isaac, Winona Ryder, Alfred Molina, Carla Quevedo, James Belushi.

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