Ridley Scott s'aliène avec ses (trop ?) nombreux projets
« Longtemps, je
me suis levé de bonne heure ». On ne sait pas si Sir Ridley Scott
goûte Marcel Proust, mais il pourrait ainsi paraphraser sans mentir le célèbre
auteur. Non content de superviser à la réalisation ou la production des suites
à ses deux plus grands classiques (Alien : Covenant et Blade
Runner 2049, prévu pour la fin de l’année), le cinéaste croule sous les
projets ; les bien partis, les plus hypothétiques, et ceux qui risquent
probablement de rester à quai. Tour d’horizon.
Ceux qu’on verra
probablement
On le sait, Scott est un homme très occupé : depuis
le début des années 2000, il tourne à près d'un film par an.
Sorte de Woody Allen des gros films de studio, il alterne avec la précision d’un
métronome et plus ou moins de bonheur des projets très divers, que ce soit
péplum (Exodus), film (très) noir (Cartel), ou SF plus light, voire
disco (Seul sur Mars). Après Alien : Covenant en 2017, il
semblerait que Scott ait déjà son prochain projet dans les tuyaux pour une
sortie éventuelle en 18 : All the Money in the World, adapté de l’histoire (vraie) du
kidnapping de John Paul Getty III dans les années 1970, et des intrigues familiales
ayant compliqué le paiement de sa rançon. Scott ne sera pas le seul à
s’attaquer à cette histoire, puisque Danny Boyle prépare également une
mini-série sur le sujet pour l’année prochaine. Devant la caméra de Scott, on
devrait retrouver Michelle Williams (dans un rôle initialement destiné à
Natalie Portman), Kevin Spacey et Mark Wahlberg. Bientôt aux Oscars ?
Scott a également annoncé vouloir réaliser un film sur la
bataille d’Angleterre, qui opposait la Luftwaffe allemande et la Royal Air Force anglaise, dans de ce qui fut restera connu comme la période du
« Blitz » durant la Seconde Guerre Mondiale. Ni date de sortie ni annonce de casting pour l’instant, en
revanche on peut déjà prévoir les inévitables comparaisons avec le Dunkerque
de Nolan, lequel doit d’ailleurs beaucoup au Ridley Scott des années fastes.
Plus imprécis encore, mais
trop récent pour être une Arlésienne, une adaptation du livre Wraiths
of the Broken Land. Né sous la plume de S. Craig Zahler, lui-même
réalisateur (Bone Tomahawk), le film est annoncé comme un western
« combinant des éléments d’horreur, de noir, et d’ultra-violence asiatique » (un peu
comme Bone Tomahawk, donc).
Ceux auxquels on n’échappera pas
Quatre : voilà le nombre
de suites à Alien actuellement en développement. Un chiffre qui n’inclut
pas Covenant,
ce qui porterait donc la saga à un total de dix films (les quatre films originels,
Prometheus,
Covenant
et donc ces séquelles), si l’on omet pudiquement les deux volets de la nullissime
saga Alien
vs Predator. Si tout cela reste pour le moment très flou (et viendra
sûrement le jour où Scott n’aura plus la forme physique de porter ce genre de
gros projets), le cinéaste semble avoir une idée bien précise de la route à
prendre : le prochain volet continuera de procéder à reculons jusqu’au
voyage du Nostromo dans le tout premier Alien, et serait même doté d’un
titre (Awakening). Heureusement que Scott avait dit que Prometheus
ferait le lien avec la saga originale…
Un petit mot, également, sur
le putatif Alien 5, qui aurait dû voir le retour aux affaires de Sigourney
Weaver (Ellen Ripley) et Michael Biehn (caporal Hicks), sous la houlette de l’inégal
Neil Blomkamp (l’excellent District 9, l’infâme Chappie).
Si l’idée avait largement fait saliver les fanboys (les mêmes que ceux qui
attendaient Star Wars 7 comme le Messie, probablement), il y avait de quoi
rester sceptique devant le pitch, qui aurait tout simplement effacé Alien
3 et 4 (La Résurrection), pour s’imposer en épisode 3.1. La dernière
fois qu’on a eu affaire à ce genre d’entourloupes spatio-temporelles, c’était
avec Terminator :
Genisys, et la douleur reste intacte. Quoiqu’il en soit, ce
révisionnisme n’aura pas lieu, puisque de l’aveu de Scott lui-même, l’annonce d’une
avalanche de préquels a bel et bien enterré ce nouveau
chapitre. Une décision qui ne semble pas émouvoir Scott outre-mesure, lequel a
clairement affiché ses intentions d’être le seul maître à bord du vaisseau
Alien. C’est bien connu, avec l’âge, on a tendance à moins partager…
Ceux qui ne sortiront probablement pas (ou alors pas réalisés par lui)
S’il est un autre de ses
films auquel Scott aurait voulu donner une ou des suite-s, c’est Gladiator.
Etonnant, nous direz-vous, quand on connait le sort funeste réservé au
personnage de Russell Crowe à la fin du premier volet. Pas un problème, nous répond
Scott, puisque le scénario signé du chanteur bien perché Nick Cave se présente
comme suit : « Maximus va au
paradis, et est renvoyé sur Terre par les dieux, qui meurent au paradis parce
qu’il y a ce dieu, il y a ce personnage du Christ qui gagne en popularité, et
les dieux envoient le gladiateur tuer le Christ et ses disciples ». Rien
que ça ! Mais ce n’est pas tout, puisque Cave déroule ainsi le reste de
son scénario : « Il aurait été
révélé que le personnage principal est son fils, et il doit tuer son fils, il a
été piégé par les dieux. Il devient un guerrier éternel, et cela se termine sur
une scène de guerre de 20 minutes qui montre toutes les guerres de l’histoire
jusqu’au Vietnam et tout ça et c’était assez fou ». C’est le moins qu’on
puisse dire. Si l’idée de cette suite, sobrement titrée Christ Killer semble abandonnée (tout comme un spin-off sur le personnage de Lucius Verus,
enfant dans le premier volet), on peut en retrouver des traces dans Exodus,
relecture terre-à-terre et très sombre du mythe de Moïse, et même dans Prometheus
et Covenant,
tous deux très axés sur cette thématique qu’on pourra nommer « des hommes
et des dieux ».
Après avoir collaboré avec l’écrivain
sur Cartel,
il eut semblé que Scott se soit amouraché de Cormac McCarthy. Suffisamment, en
tout cas, pour vouloir adapter son bouquin culte Méridien de sang, dont l’adaptation sur grand écran fait office
depuis longtemps de projet maudit : après Tommy Lee Jones, Scott jettera
le gant, sans doute en raison de la difficulté à convaincre un grand studio de
faire un film d’une telle violence graphique. Plus tard, un autre hyperactif,
James Franco, s’y attaquera aussi (non content d’avoir déjà adapté sans éclat
Steinbeck et Faulkner), mais là encore, le projet tomba à l’eau. Et le serpent
de mer de reprendre son chemin…
Enfin, Scott est toujours
plus au moins associé à deux projets également très hypothétiques, deux
adaptations de romans du genre qui a fait sa gloire (la science-fiction) :
La Guerre éternelle (récit du
parcours d’un soldat dans une armée spatiale façon Starship Troopers, raconté de façon elliptique) et Silo (histoire post-apocalyptique d’une
humanité condamnée à vivre dans un grand bunker souterrain à l’intérieur duquel
une hiérarchie sociale est recréée). Rien de concret à se mettre sous la dent
concernant ces deux projets-là pour l’instant, si ce n’est que les droits ont
été sécurisés. C’est déjà ça…
Ceux auxquels il a dit non
Si Sir Ridley accumule sans
sourciller gros blockbusters épiques et épisodes de sagas interminables, il y a
toutefois un genre qu’on lui a déjà proposé et auquel on ne risque pas de le
voir s’attaquer de sitôt : les films de super-héros. Avant tout parce qu’il
« ne peut pas croire à l’irréalisme très
mince de la situation des super-héros ». Si le reproche peut s’avérer
étonnant vu le genre de films auxquels il attache souvent son nom, il précise néanmoins que Blade Runner est comme un « comic
strip » et qu’on « pourrait
presque mettre Batman ou Superman dans ce monde-là, cette atmosphère, sauf que
j’aurais une putain de bonne histoire, au lieu de pas d’histoire ! ».
La messe est dite.
Enfin, parce qu’il n’est
décidément pas très farniente, ajoutons que Scott est également producteur, par le
biais de sa société Scott Free, jadis cogérée avec son défunt frère Tony. Pour
la télé (The Man in the High Castle,
d’après Philip K. Dick et Taboo, avec Tom Hardy), et le cinéma. Il chapeautera ainsi prochainement Felt, biopic de Mark Felt, informateur instigateur du scandale du Watergate plus connu sous le nom de Gorge Profonde (et on sait à quoi vous pensez, grivois-e), une nouvelle adaptation du Crime de l'Orient-Express réalisé par Kenneth Brannagh (avec Johnny Depp et Michelle Pfeiffer en passagers), War Party (une histoire de Navy SEALs prévue sur Netflix, également avec Tom Hardy) ainsi que le remake de l’excellent The Strangers, sorti l’an dernier.
Un remake largement inutile, mais ceci est une autre histoire.
Si, comme nous, vous vous
demandez comment Ridley Scott fait pour jongler avec tous ces projets en même
temps, repensez aux mots de Marcel Proust, toujours lui : « on peut tout ce qui ne dépend que de notre volonté ».