Bienvenue à Suburbicon : sous la banlieue, le ratage



 
Joli paradoxe : alors que le Clooney acteur ne cesse de surprendre et de s’épaissir (notamment quand il joue des personnages d’abrutis finis, comme dans Money Monster ou Avé, César !), le Clooney réalisateur n’en finit plus de dégringoler. Après une carrière de cinéaste commencée sur les chapeaux de roue (Confessions d’un homme dangereux, biopic halluciné au scénario signé Charlie Kaufman) l’ex-Danny Ocean a alterné entre le bon (Good Night and Good Luck, Les Marches du Pouvoir) et le pas terrible (Jeux de dupes), le nadir ayant été atteint avec Monuments Men, remake mollasson d’Il faut sauver le soldat Ryan improvisé par Clooney et sa bande de potes – des potes nommés Matt Damon, Jean Dujardin et Bill Murray, mais quand même. Suburbicon aurait dû être le film du retour en forme, puisque son scénario originel est signé des frères Coen, duo infernal qui a justement donné à Clooney certains de ses plus beaux rôles. Un projet maintes fois repoussé depuis des années, et qui aurait peut-être mérité de l’être encore un peu, repoussé…
 
Le décor de Suburbicon est désormais familier : la banlieue américaine proprette des années 50, les barrières de bois (et les populations) d’un blanc radieux, les lunettes à écailles et la félicité éternelle offerte par les miracles de l’économie de marché. S’attaquer à cette époque, c’est s’attacher à ce qui faisait le miel de Mad Men ou des films les plus solaires de Tim Burton (Edward aux Mains d’argent, Big Fish, Big Eyes) : le décalage entre l’imagerie immobile de l’époque (celle qui a été immortalisée par un artiste comme Norman Rockwell) et ses contradictions profondes. Les contradictions d’une ère à la fois plus simple (pour les Blancs) et plus compliquée (pour à peu près tous les autres) que la nôtre. S’il s’en était tenu à cette peinture de la classe moyenne américaine, de son environnement et finalement de sa déliquescence, Suburbicon aurait pu être un grand ou à tout le moins un bon film. Les rares gags qui font mouche sont d’ailleurs ceux qui donnent à voir l’implosion de la cellule familiale traditionnelle – comme celui du pater familias en carton (interprété par un Matt Damon pantouflard) finissant sur le minuscule vélo de son fils.

Pourquoi diable, alors, nous coller là-dessus la sous-intrigue ni intéressante ni cohérente d’une famille noire qui peine à s’intégrer dans la ville de Suburbicon ? Non seulement celle-ci n’est jamais vraiment mise en lien avec l’intrigue principale, mais en plus, ces bonnes intentions et ce « militantisme » finissent par être contre-productif, puisque jamais la famille de Noirs n’est montrée comme autre chose que des victimes et des spectateurs passifs des injustices qui leurs sont faites. Connaissant le cinéaste, il y a vraisemblablement un appel à la tolérance et au vivre-ensemble là-dedans, mais qu’est-on censé comprendre exactement ? Que les temps ne changent finalement pas tant que ça, mais que la lumière est quand même au bout du tunnel ?
 
Bien malgré lui peut-être, Clooney reste Clooney ; même doté d’un scénario des Coen Bros., celui-ci a du mal à être aussi radical et même vaguement anar que les deux frangins. Il conserve toujours l’approche d’un Robert Redford, un autre de ses maîtres : bien intentionné, moral et, in fine,  moraliste, pour ne pas dire paternaliste. On lance donc un appel ouvert à celui ou celle qui saura révéler George Clooney à lui-même, pour le bien du reste de sa carrière de cinéaste. Et pourquoi pas un grand vicieux comme Tarantino ? De l’aveu même des deux hommes, le duo fonctionnait du tonnerre dans Une nuit en enfer, et la réunion aurait de la gueule. Pour l’heure, on garde nos fantasmes pour nous et puisqu’on assume tout, même les rimes les plus faciles, on terminera ainsi : Suburbicon, piège à cons !

Bienvenue à Suburbicon (Suburbicon), George Clooney, 2017. Avec : Matt Damon, Julianne Moore, Oscar Isaac, Glenn Fleshler, Noah Jupe

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