L'Ombre d'Emily : L'envers du paradis


 
Les dernières années auront vu émerger une recrudescence des « pervers narcissiques » sur grand écran. Si ce genre de personnalités n’est pas apparu avec notre modernité liquide (lire ou relire Le Portrait de Dorian Gray, étude clinique de la pathologie écrite en 1890), la société du paraître et l’addiction à soi-même développée par les réseaux sociaux ont contribué à développer ces comportements tordus. D’où un intérêt certain de la part du cinéma pour le sujet ; le nouveau parangon du genre est sans doute le jubilatoire Gone Girl, satire bien dosée du génial Fincher.
 
L’Ombre d’Emily marche sur ses pas, comme ceux de La Fille du Train. L’étude de cas (déviant) est bien là, et les poncifs du genre sont réinterprétés avec délectation : il y a donc bel et bien un pervers narcissique dans l’affaire, mais où se cache-t-il ? Les prétendants ne manquent pas. Aussi, le film sonde de près ce qui est un autre symptôme de notre époque atomisée : cette solitude hypermoderne, paralysante, qui « tue plus que le cancer ». Voilà pour la première heure.
 
La deuxième, elle, évacue rapidement le suspense pour un grand-guignol généralisé et assez jouissif. L’usage de la musique est révélateur : au début, le film est illustré par des chansons de Françoise Hardy, France Gall et Jacques Dutronc, comme pour accréditer cette fascination chic et toc qu’ont les Américains pour les années 60 so frenchy. Le générique de fin, lui, est un morceau vénère… d’Orelsan. Ça a dû le faire bien marrer, le Caennais !
 
Il y a dans L’Ombre d’Emily tous les éléments qu’on attend d’un thriller, jusqu’à la fameuse assurance-vie à l’origine de tous les complots ourdis. Mais plus encore, le jeu de massacre et de faux-semblants est surtout un moyen pour chacun des personnages de faire tomber les masques, se montrer au grand-jour avec ses (petites) névroses et ses (grandes) perversions, et d’égayer un peu la morne réalité. Depuis le rigolo Game Night, on sait maintenant comment la classe moyenne américaine s’occupe pour tromper l’ennui : elle joue à se faire peur.

L'Ombre d'Emily (A Simple Favor), Paul Feig, 2018. Avec : Blake Lively, Anna Kendrick, Henry Golding, Jean Smart, Rupert Friend.
 
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