10 sitcoms à regarder pendant le prochain confinement

On voit venir certaines critiques putatives. Du type : « Sans blague, le type nous pond un message (lisible ici) pour se justifier d’avoir rien écrit de l’année et, quand il revient, c’est pour pondre un article dont Topito a pas voulu ?! » Peut-être. Mais ce n’est pas la visée de l’article qui suit.

A l’heure où, plus que jamais, chacun vit retranché chez soi, bien au chaud dans son pré carré et sa bulle d’opinion, à l’heure où la seule offre culturelle semble être celle qui est proposée par une poignée de plate-forme toutes-puissantes, parler de séries plus anciennes ou peu connues nous semblait salutaire. On peut, et il faut, s’extasier devant les bonnes ou grandes œuvres produites par Netflix ou Amazon – et pratiquer le « Gafa-bashing » aveugle est aussi vain qu’idiot. Mais il faut aussi se rappeler que l’hégémonie poursuivie par ces rouleaux compresseurs aboutirait forcément à une uniformisation culturelle et un appauvrissement créatif. D’où, peut-être, la nécessité de résister, ou en tout cas de rester curieux. ¡No pasarán!

 Better Off Ted, métro-boulot-dingo

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 Ted Crisp (Jay Harrington, tout en sourire Ultrabrite et en humour à froid) est un chic type, toujours prêt à dépanner un collègue ou à dispenser de précieux conseils à sa fille, qu’il élève seul. Hélas, Ted bosse pour un consortium tentaculaire qui n’a pas le même amour de son prochain et pratique des expériences douteuses, comme cryogéniser un de ses propres employés...

Sous-genre fertile de la sitcom US (Spin City ou Scrubs comptent parmi ses plus fiers représentants), la workplace comedy est le moyen idéal de faire apparaître les petites névroses et les grandes psychoses du genre humain, et les tensions entre les individus – car c’est bien connu, les autres, c’est l’enfer ! Après tout, qui n’a jamais rêvé d’étrangler un de ses collègues de travail ?

Sorte de The Office croisé avec un cartoon de Tex Avery, Better Off Ted est l’œuvre du poissard Victor Fresco (aucune de ses séries n’a dépassé les 3 saisons d’existence). Diffusée à la va-vite sur la défunte TPS Star, elle n’a jamais vraiment été exposée à sa juste valeur par chez nous. Outre-Atlantique, son sort fut à peine plus enviable : avant même la fin de la 2e saison, la chaîne ABC sonne la fin de partie. Les spectateurs, eux, étaient déjà passés à autre chose depuis un moment.

Burning Love, cherchez la flamme

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Mark est un mufle totalement déconnecté de la réalité qui participe à un pseudo-Bachelor pour y rencontrer la femme de sa vie. Ça vous rappelle quelque chose ? Normal : c’est le pitch de la poilante Flamme lancée cette année avec un Jonathan Cohen en forme olympique. C’est aussi et surtout celui de Burning Love, auquel le remake français emprunte malheureusement (beaucoup) trop pour s’en détacher réellement, en dépit de quelques apports locaux bien sentis (comme la Jean-Guile ou Soraya, la prétendante au cœur de singe.)

Une excellente raison, donc, de redécouvrir l’original qui, en sus d’un Ken Marino proprement exceptionnel, accueille un paquet de trublions de la comédie US : de Ben Stiller (aussi producteur) à Ken Jeong, en passant par Kristen Bell ou Michael Cera. Après 3 saisons décapantes, les mêmes créateurs ont très logiquement continué leur entreprise de dézingage en s’attaquant aux émissions d’immobilier ou aux fameuses Housewives.

Extras, pas de grands rôles, que des petits acteurs

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Et si le vrai chef-d’œuvre de Ricky Gervais n’était pas The Office ? Alors que sa dramédie sur la vie de bureau vient de s’achever (et s’est déjà exporté aux States ou en France), Gervais a les coudées franches pour faire ce qu’il veut. Son prochain projet sera Extras, l’odyssée d’un acteur raté voué à la figuration, Andy Millman (Gervais himself), qui côtoie des stars complètement déglingos – Kate Winslet, Ian McKellen ou Samuel L. Jackson, tous très contents de s’auto-parodier avec outrance.

La 2e saison change légèrement de sujet et voit Millman passer sur le devant de la scène avec une sitcom médiocre diffusée sur la BBC ; l’occasion pour Gervais de railler tout un pan de la sitcom UK, fait d’intrigues paresseuses, de punchlines débiles et de sentimentalisme sacchariné. Chassez le naturel, il revient au galop : cette 2e salve est l’occasion pour Gervais de pratiquer à nouveau cette comédie cruelle, jamais loin du malaise, qu’il affectionne tant.

Hard, A Star is Porn

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A ses débuts, l’avantage concurrentiel de Canal+ reposait en grande partie sur des films en exclusivité et le porno. Deux décennies plus tard, alors que la chaîne cryptée a gagné en respectabilité et se fantasme en HBO à la française, elle lance Hard, une série sur… le porno.

Produite par le vétéran Bruno Gaccio (le génie des Guignols de l’info, c’est un peu grâce à lui), Hard est peut-être l’une des meilleures séries françaises de son époque. Basée sur le schéma classique du poisson hors de l’eau, elle fait s’entrechoquer le monde bourgeois, catho et bien-pensant, dont l’héroïne (Natacha Lindinger) est issue, et celui du cinéma pour adultes, auquel elle est mêlée bien malgré elle. Au-delà de certaines situations ubuesques, ce sont surtout les interprètes qui séduisent. Soyons affreusement sélectifs et n’en gardons que deux : Stéphan Wojtowiczj, dont la gouaille n’aurait pas dépareillé chez Michel Audiard il y a quelques décennies, et François Vincentelli, faux bellâtre et vrai grand acteur comique. Tirant habilement profit de la liberté de ton offerte par la chaîne – langage cru et nudité décomplexée – et s’attachant à des minorités encore trop peu représentées au sein du PAF (homos, lesbiens et trans), Hard pourrait faire sien ce slogan désormais bien connu : ce qui compte, c’est de jouir sans entraves.

The Inbetweeners, les années lycée bien rasées

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« L’adolescence ne laisse un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire. » La formule est de François Truffaut et ce n’est pas The Inbetweeners qui viendra le contredire. Physique disgracieux, peau grasse, vie sexuelle inexistante, camarades de classe hostiles, parents désemparés et profs sadiques : n’en jetez plus, c’est un véritable pot-pourri de galères que la série met en scène. S’il fallait lui chercher un cousinage français, on songerait d’ailleurs davantage aux Beaux Gosses de Riad Sattouf qu’à Premiers Baisers. Détail pas si mineur : deux films largement oubliables ont suivi, qui dépassaient la ligne de la grivoiserie avec laquelle la série flirtait sans cesse.

Kaboul Kitchen, cuisine et descendance

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Jacky Robert est un Français installé dans un Afghanistan en guerre, dont le restaurant, le Kaboul Kitchen du titre, est un rare havre de paix – et de business. Quand sa fille débarque pour bosser dans une ONG, c’est le choc des cultures assuré…

Portée par un Gilbert Melki au poil, cette véritable « maboul kitchen » fut là encore une belle réussite pour la « Nouvelle Trilogie » de Canal. A la fin de sa 2e saison, alors qu’on se dit que la série a trouvé son rythme de croisière, patatra, Melki claque la porte, vraisemblablement pour des raisons d’incompatibilité d’égos.  Plutôt que de s’arrêter là, l’équipe préfère continuer et embauche Stéphane de Groodt pour jouer un escroc en fuite, Michel Caulaincourt, dans une nouvelle mouture qui ne convainc pas tout à fait. Reste une belle série, qui brocarde l’hubris des « grandes nations civilisées » autant que l’instabilité des pays émergents, et renvoie dos-à-dos les touristes de l’humanitaire et les vautours de la politique. Autant de thèmes rarement traités frontalement à la télé française. Merci qui ? Merci Jacky et Michel.

The Larry Sanders Show, petit écran de fumée 


Avant Oz et Les Soprano, il y avait Larry Sanders. Au début des années 90, pas encore la terre promise créative qu’elle finira par devenir, la chaîne câblée HBO lance The Larry Sanders Show, qui montre de l’intérieur la fabrication d’un late show télévisé – piliers de la programmation des grands networks à la fois très drôles et parfaitement superficiels que la France a plusieurs fois lamentablement tenté de singer. Sans doute une des raisons pour laquelle la série n’a jamais traversé l’Atlantique : la plupart des codes et des références sont parfois difficilement compréhensibles par le grand public.

Boule de névroses, démiurge intransigeant, Larry Sanders est bien entendu le double de son créateur, Garry Shandling, jusque dans son nom. Mais il existe qui plus est deux Larry : l’homme privé et l’histrion public, et l’on ne sait jamais vraiment lequel des 2 est le « vrai »… Le jeu de faux-semblants est vertigineux et le devient davantage encore lorsque des vraies stars viennent jouer leur propre rôle, en y mettant là aussi une bonne dose d’auto-dérision. D’Entourage à Dix pour cent en passant par Extras (voir plus haut), la formule est désormais rôdée et c’est ni plus ni moins au Larry Sanders Show qu’on la doit. Décédé en 2016, Garry Shandling n’a jamais retrouvé le même éclat dans la suite de sa carrière. D’aucuns disaient que certaines vérités grinçantes énoncées dans sa série l’ont grillé à plus d’un endroit. En réalité, avec son chef-d’œuvre télévisuel, il avait probablement exprimé tout ce qu’il avait à dire.

Peep Show, salauds de POV

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Mark et Jeremy habitent en coloc dans un minable appartement de Londres. L’un est dépressif et se désespère de trouver la femme de sa vie, l’autre crame la vie par les deux bouts. A priori, rien de vraiment neuf sous la grisaille anglaise, le mariage de la carpe et du lapin étant un classique de la comédie. C’est le traitement qui fait tout. Sur la forme d’abord : l’originalité de la série est qu’elle est filmée en vue subjective (en « POV » comme on dit sur YouPorn) et donne parfois la sensation de reluquer avec une curiosité malsaine les piteuses aventures des autoproclamés « El Dude Brothers », d’où le titre polisson de la série. Sur le fond, ensuite : depuis Seinfeld, on n’avait pas vu une sitcom aussi radicalement noire, misanthrope et même nihiliste, tant la moindre rédemption semble impossible pour Mark et Jeremy, qui seraient détestables s’ils n’étaient pas à hurler de rire. Si morale de l’histoire il y avait, elle serait probablement celle-ci : on naît seul, on meurt seul et, entre les deux, la vie n’est qu’une dure lutte.

Psychoville, BBC fais-moi peur

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On se situe là aux confins du genre. Car Psychoville n’est pas une sitcom, du moins pas uniquement… Elle l’est par ses épisodes de 30 minutes au rythme effréné et de nombreuses scènes tordantes, mais c’est aussi une série d’épouvante et d’horreur, toujours angoissante et souvent flippante. Même la structure n’a rien à voir avec une comédie classique, puisqu’une demi-douzaine d’intrigues narratives cohabitent en parallèle avant de se rejoindre pour s’entremêler à la fin de la saison 1.

Psychoville fut aussi pour ses auteurs, Reece Shearsmith et Steve Pemberton, membres de la troupe comique The League of Gentlemen, un formidable espace de liberté, comme en témoigne cet épisode filmé en un seul plan-séquence, en hommage à La Corde de Hitchcock. Que Psychoville soit une grande série n’est pas le plus stupéfiant : c’est qu’elle le fut sur la BBC, télévision d’Etat, qui a donc dépensé des derniers publics pour financer les expérimentations de deux cerveaux gentiment déviants. Imagine-t-on un tel programme diffusé sur France 3 à une heure de grande écoute ?

The Thick of It, politique friction

Armando Iannucci. Derrière ce nom se cache l’un des plus grands satiristes modernes, impitoyable pourfendeur des dérives des régimes démocratiques (Veep) ou totalitaires (La Mort de Staline). The Thick of It est sa première création, la matrice qui contient toute son œuvre à venir. Située dans un ministère anglais aux prérogatives vagues, elle fait la part belle à un spin doctor dictatorial et zinzin, Malcom Tucker (ahurissant Peter Capaldi), qui souffle le chaud et le froid au sein des gouvernements – tous bords politiques confondus. S’il n’est pas inutile de connaître les rouages du pouvoir anglais pour en saisir toutes les subtilités, le propos de la série est universel et implacable : la politique est désormais moins une affaire de politiciens que de gourous du marketing, et la démocratie représentative s’est muée en démocratie de la représentation.

Je pouvais difficilement terminer cet article sans remercier 2 amis très chers : Joseph, qui m'a fait découvrir plusieurs des séries dissertées ici, et Joséphanne, qui m'a fait phosphorer sur le sujet et m'a donc, bien malgré elle, inspiré le sujet de cet article. Je promets de leur faire plein de bisous et de câlins dès lors que la loi l'autorisera à nouveau.

Et pour prendre des nouvelles du meilleur blog de l'histoire des univers connus : Sitcom à la Maison !

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