El Camino : Un homme sous influence

« All bad things must come to an end » nous disait Breaking Bad à l’orée de sa dernière saison. 7 ans plus tard, il n’en est toujours rien : alors que l’exceptionnelle 5e et avant-dernière saison de Better Call Saul (série dérivée désormais aussi essentielle que son imposante grande sœur) s'est achevée il  y a peu, Vince Gilligan et sa clique signent et persistent dans l’exploration d’un univers toujours plus étendu avec El Camino, bolide centré sur le troublé Jesse Pinkman, seul personnage dont le destin n’était pas scellé à la fin de la série-mère. Un téléfilm en forme de conclusion et d’adieu au personnage qui ne convainc pas totalement.

Ce verre à moitié plein est essentiellement dû à des raisons de rythme et de format : Breaking Bad comme Better Call Saul sont avant tout des réussites éclatantes parce que, comme peut-être aucune autre série depuis The Wire, elles prennent le temps, leur temps et choisissent d’évoluer à un tempo qui leur est unique. Logique : l’histoire de Walter White, c’est celle de la résistible ascension d’un professeur mou du genou devenant à peu le Scarface néo-mexicain. La destinée de Saul Goodman est, elle, différente mais pas moins progressive : alors qu’il pourrait et devrait sauter à pieds joints dans une existence dénuée de scrupules, le personnage ne se résout jamais vraiment à se défaire de son restant d’humanité. 

En 2 heures remplies jusqu’à la lie, El Camino ne peut évidemment pas prétendre à une telle peinture au long cours. Le film fait donc faire à Jesse un dernier rodéo acrobatique sur fond d’argent sale et de nouvelle identité. C’est sympathique, certes, mais loin d’être incontournable. Et l’idée de faire revenir tous les personnages qui gravitent dans la galaxie Pinkman, aussi mineurs fussent-ils, laisse parfois un arrière-goût de fan service. Restent quelques belles idées et l’une des scènes donne peut-être la clé de voûte de ce qu’est réellement Jesse Pinkman : chargé de faire une sale besogne pour le terrifiant Todd Alquist (Jesse Plemmons alias « Fat Damon ») dans le désert, il met la main sur le flingue de celui-ci, contemple l’immensité du vide qui les entoure, pointe l’arme sur le néo-nazi et ne fait…rien.

Transparaît alors l’image d’un type incapable d’embrasser la violence nécessaire à la situation. Par état d’âme, bien sûr – de tous les personnages de Breaking Bad, c’est sans doute lui qui paya le plus cher cette part d’humanité dont il renonce à se séparer. Mais aussi par désarroi : à l’heure du choix, du libre-arbitre ultime (un cadavre qui tombe dans le désert fait-il du bruit si personne n’est là pour l’entendre ?), il s’en montre incapable, tant il a été influencé, vampirisé si longtemps par son pygmalion, son maître à penser et à faire : Walter White. Même quand il est éloigné de White, c’est pour être sous la coupe d’une clique de nazillons – autant dire passer de Charybde en Scylla.  En fait de fin, la conclusion d’El Camino est un début pour le personnage, l’entrée dans l’âge de raison.  « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres ! ». Pas franchement féru de La Boétie et ne sachant trop que faire de cette liberté nouvelle, Pinkman se remémore sans doute les mots de la non moins immortelle Buffy Summers : « La chose la plus difficile dans le monde, c’est d’y vivre. » 

El Camino : Un film Breaking Bad (El Camino: A Breaking Bad Movie), Vince Gilligan, 2019. Avec : Aaron Paul, Jonathan Banks, Bryan Cranston, Jesse Plemmons, Robert Forster.

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