Cruella, crise de fourrure
Aujourd’hui, maman est morte. Voilà un incipit camusien tout à fait programmatique concernant Cruella, que l’on pourrait même préciser ainsi : aujourd’hui maman est morte, tuée par des dalmatiens. C’est en effet à peu près tout : parce qu’elle a vu la mort de sa daronne précipitée par ces chiens tachetés, la future Cruella nourrit dès lors une haine féroce à leur encontre. Enfin, quand on dit « féroce »… Ici, moralisation oblige, il n’est même plus question de dépecer les chiots pour s’en faire des manteaux, mais de s’élever toujours plus haut sur la chaîne alimentaire du pouvoir, d’écraser les autres pour les supplanter, ce qui en dit long sur les motivations ultimes des personnages de ce genre de films. Toujours les puissants resteront les puissants.
Cruella est un film écrit avec des petits papiers dans un chapeau : un scénariste s’est dit qu’il serait avisé de pomper l’intrigue du Diable s’habille en Prada, un autre a proposé de situer ça dans l’atmosphère enfumée et crapoteuse du Swinging London, un troisième a suggéré de donner au tout une tonalité camp digne des comédies musicales de Broadway – et le studio a donné son feu vert. Est-ce ce côté fait de bric et de broc qui donne cette impression d’artificialité ? Tout sonne faux, tout a l’air toc : l’accent british des acteurs ricains, la BO, qui zappe des Stones aux Zombies, des Stooges à Nina Simone comme un jukebox déréglé…
Cruella est, on le voit, une étape de plus dans la série de remakes plus ou moins littéraux, plus ou moins inspirés mis en branle par Disney depuis une dizaine d’années. Le but va pourtant au-delà de la simple autocélébration patrimoniale : comme beaucoup de compagnies ayant atteint un âge vénérable, la firme aux grandes oreilles doit désormais composer avec un passé embarrassant et un héritage encombrant. Des films comme celui-ci, alors, sont le prétexte idéal pour « laver plus blanc que blanc » idéologiquement, et tenter maladroitement (en ajoutant des personnages de couleur ou queer) de faire oublier qu’une bonne partie des histoires du studio ont une moralité tout à fait conservatrice. On vous semble cynique ? On l’est peut-être, quoique beaucoup moins qu’un conglomérat aux dents longues qui cherche à se faire un peu de fraîche sur le dos des revendications de l’époque. Quoiqu’il en soit, gardons un peu de notre plume acerbe pour le futur remake live action de Bambi, où l’on apprendra que le chasseur qui a tué sa môman était en fait le fils caché de Jafar et d’Ursula.
Cruella, Craig Gillespie, 2021. Avec : Emma Stone, Emma Thompson, Joel Fry, Paul Walter Hauser, Mark Strong.
Pour s'enjailler et suivre les actus d'un site vraiment pas chien, c'est par ici.