Flag Day, autobiographie d'un menteur
Ce n’est plus un secret pour grand-monde : Sean Penn a, semble-t-il pour de bon, perdu son mojo créatif, que ce soit devant ou derrière la caméra. Acteur de premier plan dans les années 90 et 00 (deux Oscars du meilleur acteur, quand même), il est quasiment absent dans la décennie suivante, ou alors dans des daubes. Dans le nullissime Gangster Squad, les tonnes de latex qu’on lui a imposé pour vaguement ressembler au vrai parrain Mickey Cohen étouffent toute velléité de jeu d’acteur. Dans Gunman, qui s’empare d’un bouquin de Jean-Patrick Manchette pour en faire une énième takenerie avec justicier gériatrique, il somnole. Coté cinéaste, c’est pire : après Into the Wild, qui suscita plus d'une vocation de marcheur, The Last Face fut unanimement et joyeusement égorgé par la critique à sa sortie en 2016.
On voit mal comment Penn pourrait remonter la pente, et ce n’est probablement pas ce Flag Day qui renversera la tendance, vu l’accueil tiédasse reçu par celui-ci. Mais, mais, mais… Tout n’est pourtant pas inintéressant dans les intentions du cinéaste et le résultat final. Certes, le faux rythme choisit par le film finit par rapidement tourner au surplace. Certes, Dylan Penn, fille de et donc pur produit du népotisme, est probablement bourrée de qualités mais dotée de la palette de jeu d’une chaise en Formica. Certes, le « héros » campé par Sean Penn, John Vogel (qui a réellement existé), n’est pas un grand personnage de cinéma. C’est un pauvre type, né dans la misère et mort de sa bêtise, « parti de rien pour arriver à pas grand-chose » comme aurait dit mon idole Groucho.
On sent pourtant ici chez Penn – et c’est là ce qu’il y a de plus intéressant ou en tout cas de révélateur – une volonté de démystifier, démythifier les fameuses « histoires vraies », ces récits pompiers et pompeux de héros américains. C’est finalement peut-être ce qui explique au moins en partie l’indifférence polie dans laquelle sort Flag Day et qui fait presque tache de nos jours : cette idée de raconter des histoires sans gentils ni méchants. Sans scènes trépidantes. Sans manichéisme. Une démarche de démystification de récits connus qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler tout un pan du cinéma des années 70, auquel Penn a sans doute été biberonné : des films comme Missouri Breaks ou Little Big Man d’Arthur Penn (avec lequel Sean n’a aucun lien de parenté), Buffalo Bill et les Indiens ou John McCabe de Robert Altman. Dans ces westerns révisionnistes-là, les belles valeurs qui avaient présidé à la conquête de l’Ouest avaient fait long feu, les Indiens avaient été exterminés et les nouvelles colonies étaient aux mains d’apprentis tyrans et de proxénètes. Dans l’Amérique de Reagan et Flag Day, les rednecks vivotent en attendant les lendemains qui chantent et cannent d’une cirrhose. L’Ouest américain éternel, lui, est toujours là, et prête toujours aussi bien le flanc aux poèmes élégiaques.
Flag Day, Sean Penn, 2021. Avec : Sean Penn, Dylan Penn, Josh Brolin, Eddie Marsan, Regina King.
Pour s'enjailler et suivre les actus d'un blog qui déboite, c'est par ici.