Cry Macho : Le vieil homme et l'Amérique

Clint Eastwood a 91 ans et toutes ses dents (et peut-être quelques couronnes). Vu son âge vénérable, grande est la tentation de voir, depuis une bonne décennie au moins, le dernier en chaque film, l’œuvre qui sera à la fois le testament et la clé de voûte de sa filmographie. L’ex-Homme sans nom a lui-même souvent dit adieu à ses avatars cinématographiques : en 1992, l’immense Impitoyable venait clôturer un vaste cycle de westerns dirigés par d’autres (Sergio Leone, Don Siegel) ou lui-même. En 2008, Gran Torino enterrait semble-t-il pour de bon le Eastwood réac’, le justicier sévèrement burné des années Dirty Harry, pour mieux laisser place à Eastwood l’humaniste, le féministe (Million Dollar Baby), farouchement opposé à la peine de mort (L’Echange) ou l’Apartheid (Invictus). Mais cette belle célébration n’allait pas durer : dès 2014, American Sniper, un peu trop hâtivement considéré comme un tract pro-US Army, reviendrait semer le trouble idéologique sur un cinéaste qui, en parallèle, fait des sorties publiques confuses anti-Obama. Evidemment, c’est un peu plus compliqué que ça. Chez Clint Eastwood, si idéologie il y a, elle est moins à aller chercher du côté de l’adoration patriotique aveugle (pour son pays, ses forces régaliennes, son Dieu miséricordieux...) que d’un scepticisme typiquement libertarien, d’anar de droite, pour tout ce qui ressemble d’un peu trop près à des réflexes grégaires. Voir Sully ou l’excellent Cas Richard Jewell, deux puissants réquisitoires contre la structure médiatique et l’appareil de justice américains, pour s’en convaincre. Et Cry Macho, dans tout ça ? C’est avant tout une récréation, une sympathique bluette vaguement anachronique (d’ailleurs adapté d’un roman de gare des 70s dont une première adaptation devait voir le jour avec Schwarzy il y a 20 ans), où Clint nous refait le coup du road trip initiatique (comme dans Honkytonk Man, Bronco Billy, Un monde parfait, La Mule) effectué par un homme "venu trop tard dans un monde trop vieux" (la formule est d’Alfred de Musset), comme dans Un shérif à New York, La Relève ou... plein d’autres. C’est un énième Eastwood, diront ceux qui n’aiment pas ça (mais nous on aime), amusant par moments, carrément embarrassant à d’autres - les scènes de romance en tête. C’est largement inconséquent et, à vrai dire, on se demande bien pourquoi le cinéaste est revenu de façon semi-parodique à un genre auquel il avait fait des adieux si émouvants. En fait, un film comme Cry Macho (ou Une nouvelle chance avant lui) rappelle un peu la dernière partie de carrière de Jean Gabin. Après avoir donné corps à des chefs-d'œuvre comme La Grande Illusion ou La Bête Humaine, l’ex-"Gueule d’amour" avait joué les pachas dans des pochades amusantes comme Les Vieux de la Vieille ou Le Jardinier d’Argenteuil. Fort d’une filmo à peine moins remarquable, Eastwood, lui, se détend dans ce genre de coups d'épées dans l’eau.

Cry Macho, Clint Eastwood, 2021. Avec : Clint Eastwood, Dwight Yoakam, Eduardo Minett, Natalia Traven.

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