Black-ish et 50 ans de sitcoms noires
En 1969 débutait la diffusion aux Etats-Unis de Room 222, première sitcom à mettre en scène un personnage Afro-Américain en premier plan. Depuis, le genre de la sitcom noire, qui a connu son explosion dans les années 70, n’a fait qu’osciller entre intégrationnisme et affirmation d’une certaine spécificité noire. En plein cœur des 70s, deux des plus sitcoms les plus populaires sont Good Times et Les Jefferson. La première met en scène une famille nombreuse vivant dans un quartier mal famé tandis que la seconde présente une famille à enfant unique dont le père tient une chaîne de pressings. Dix ans plus tard, le Cosby Show taillé sur mesure par et pour (le désormais très controversé) Bill Cosby, racontait l’histoire d’une famille noire ayant parfaitement réussi son intégration, où la question de couleur n’importait finalement que peu. Dans tous les cas, cependant, les thématiques abordées sont les mêmes : relations sociales, racisme et préjugés, activisme politique et droits civiques. Peu a changé depuis. C’est à une époque paradoxale que Black-ish décide de rouvrir le débat. Paradoxale, parce qu’elle a vu Barack Obama devenir l’homme le plus puissant de la planète, mais aussi parce qu’au sein de son propre pays, il n’y a jamais eu autant de jeunes Noirs tués par des officiers de police, comme si cette nation était condamnée à bégayer dangereusement. C’est donc de ce paradoxe américain qui sous-tend Black-ish. De façon légère : on est aussi et surtout là pour rigoler.
La formule n’est pas nouvelle. Ici,
il s’agit d’une famille noire ayant réussi, doté de 4 gamins suffisamment
différents pour que chacun puisse s’y reconnaître : le geek puceau, la
reine du lycée, ainsi qu’une paire de jumeaux « mignons tout plein ».
Rien qui ne vienne révolutionner ce que Mariés, deux enfants et Les Simpson ont mis en place il y a 25 ans : tout
tourne encore une fois autour d’un père irresponsable, parfois plus puéril que
ses propres enfants. Si on juge la réussite d’une sitcom à sa capacité à se
distinguer avec un argument aussi usité, Black-ish est loin d’être
déshonorante. Pour l’emballage, c’est pareil : pas révolutionnaire, mais
relativement malin. Intelligente, la série a retenu les leçons de ses ancêtres
les plus novatrices : les inserts parfois loufoques évoquent Arrested Development ou Scrubs et la chronologie parfois
désarticulée des intrigues s’inspire de celle d’How I Met Your Mother. On est ici loin du vaudeville poussif
de Ma famille d’abord.
Et le fond ? Plutôt habile. L’un des thèmes est de rendre compte de ce qui est désormais une réalité intangible : la culture noire est devenue une culture mainstream, par le biais du sport, du hip-hop, du streetwear. Quelle place alors, peut se faire un honnête et authentique travailleur noir alors que « c’est à Kim Kardashian qu’on pense quand on parle de gros boule et que Robin Thicke est désormais synonyme de RnB » ? C’est lorsqu’elle aborde frontalement cette question que la série est la plus réussie. L’un des meilleurs running gags de la série est celui du collègue blanc, qui perpétue maladroitement les pires clichés sur les Noirs lorsqu’il essaye de se montrer cool, « urbain », en se fantasmant black, en fait. Par-là, la série tacle les wiggers, ces petits Blancs persuadés de comprendre ce qu’est l’expérience afro-américaine parce qu’ils récitent des couplets de Dr. Dre et portent des Air Jordan. Comme si être Noir ne se résumait qu’à ça. Le propos est ici délibérément satirique, mais est moins creux qu’il n’y paraît : ce phénomène d’une culture noire fantasmée par des Blancs est symptomatique d’une évolution des valeurs bien réelle dans la société américaine, donc mondiale. Jay-Z lui-même l’a un jour résumé avec sa verve habituelle : « Le Blanc est devenu un Noir comme les autres. »
C’est cette écriture relativement
finaude qui achève de faire de Black-ish
un compte-rendu réussi de ce qu’être noir ici et maintenant signifie. Parfois, la
série aborde même des thématiques un poil plus corsées, comme la question de
l’homosexualité ou de l’appartenance au Parti républicain chez les Noirs. Faut-il
y voir ici l’influence du créateur Larry Wilmore, déjà créateur sardonique et
très engagé Nightly Show ?
À l’écran, presque comme un symbole, on s’amusera de voir Laurence Fishburne,
qui a débuté comme jeune premier chez Spike Lee ou John Singleton. N’en jetez
plus : l’énergie distillée par Black-ish,
son humour bon enfant et malin, et sa relative ambition devraient lui permettre
de connaître un joli succès pour encore quelques années à venir. Ce qui n’est
pas un mal : comme sitcom grand public, on a vu largement pire.
Article initialement paru sur le défunt site Waddup en 2015.
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