Mon oncle Charlie : adieu les cons !
Ça y est : après douze ans de (plus ou moins) bons et loyaux services,
Mon oncle Charlie s’est
terminée. Enfin, se sont exclamés certains. Il faut dire que la série avait
connu une baisse de régime, prévisible mais palpable, avec le départ du
personnage-titre de la série, interprété par l’inénarrable Charlie Sheen. Preuve
que le dicton « the show must go on »
est toujours aussi valable à Hollywood, la chaîne CBS et les producteurs
avaient décidé de continuer, cahin-caha, la série, recrutant le très populaire Ashton
Kutcher. Il faut dire que c’est sur une sacrée mine d’or qu’était assise la
chaîne : pendant une grande partie de la diffusion de la série, les
épisodes réalisaient des scores d’audience proches de 15 millions de
téléspectateurs – un excellent score, compte tenu de l’éclatement du paysage
audiovisuel actuel et de l’hyperpersonnalisation des goûts.
Chuck Lorre, créateur de la série, voulait faire revenir Sheen pour le
final de la série, histoire de mettre en scène un dernier au revoir, et ce en
dépit d’une rupture largement consommée. Mais les exigences de Sheen étaient
telles que cela ne s’est finalement pas fait – comme s’en explique Lorre dans
son hilarant et habituel carton de fin d’épisode*.
Pour autant, pas sûr qu’on y perde au change, tant Lorre et son bataillon de
créatifs semblent avoir été motivés par l’idée d’offrir dans ce dernier épisode
(au titre joliment grinçant, Of course
he’s dead) un adieu à l’image de la série : creux comme une canne à
pêche, crânement fier de l’être et, puisque les deux ne sont pas antinomiques,
souvent très drôle.
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Le casting original de la série... |
Déjà, revenons sur Mon oncle Charlie. C’est quoi ? L’un des plus grands succès de la sitcom dans les années 2000 ? Pour sûr. Une vraie nouveauté ? Même pas en rêve : quand la série commence en 2003, la formule qu’elle suit paraît déjà à l’époque old school, pour ne pas dire poussiéreuse – un peu à l’image de ses acteurs principaux, Charlie Sheen et Jon Cryer, stars de teen movies dans les années 80 tombés dans les limbes des films alimentaires. À l’exact opposé d’un Ricky Gervais ou d’un Larry David, qui ont tous deux popularisé le format de sitcom « faux-documentaire / humour à froid » majoritaire à la télévision américaine aujourd’hui, Chuck Lorre conçoit le métier de scénariste de comédie comme depuis les années 50. Il s’agit là d’une sitcom vaudevillesque, héritée du théâtre et filmée devant un public. Ce qui n’est absolument pas une mauvaise chose : cette sitcom dite « classique » a fourni à la télévision américaine quelques-uns de ses plus mythiques moments, du Dick Van Dyke Show à M*A*S*H, en passant par Cheers et son spin-off Frasier. Ce que vient nous rappeler le succès de Mon oncle Charlie, c’est en réalité très simple : en dépit de toutes les innovations visuelles et narratives, de toutes les influences, il y aura probablement toujours de la place pour la « télévision de papa ». Et des gens pour regarder, aussi.
Et la série ? Que raconte-t-elle ? Rien du tout. Ici, pas de
commentaire social, de références à l’actualité, d’auto-parodie de bon aloi. Juste
trois types (ou deux et demi, comme le veut le titre original de la série) et
parfois les femmes qui les entourent, à se balancer des vannes vieilles comme le
monde, donc universelles. Pour autant, on pourrait faire ce reproche-là au
genre de la sitcom dans son ensemble et même à 90 % des programmes télévisé –
la télévision étant un médium par essence répétitif. Un vieil adage éclairé vient
également nous dire qu’il n’y a pas de nouvelles blagues, seulement un nouveau
public… Ce à quoi se refuse pourtant Mon
oncle Charlie, c’est la moindre évolution de ses personnages et la
moindre notion d’arc narratif, là où la majorité des séries comiques (Friends, How I Met Your Mother)
font généralement suivre à leurs héros un processus d’assagissement prévisible et
très petit-bourgeois : boulot, mariage, enfant, rideau. Assez
ironiquement, c’est ce refus d’évoluer, de se renouveler, couplé à un mauvais esprit
certain, qui peut rendre Mon oncle Charlie très drôle. Et
du mauvais esprit, il y en a à la pelle dans ce dernier épisode.
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...et son casting final. Le jeu des 777 erreurs ? |
Ce dernier tour de piste commence lorsqu’Alan, le frère parasite du (presque) défunt Charlie apprend que 2,5 millions de dollars de royalties revenant à son frangin n’ont pas été réclamés, prétexte à une course-poursuite grand-guignolesque. Parallèlement, celui-ci vient de s’échapper du donjon (oui, oui) où il croupissait depuis quatre ans et entend bien obtenir vengeance auprès de ceux qui ont, insulte suprême, osé continuer à vivre sans sa présence. On l’aura compris, la métaphore étant parfaitement assumée : ce final est avant tout l’occasion pour Lorre de régler ses comptes avec Charlie Sheen, ses dérapages médiatiques, ses tweets assassins et sa tentative de come-back dans Anger Management, sorte de sous-Mon oncle Charlie sous came.
Mais
pas seulement : ici, tout et tout le monde a droit à sa part du gâteau et
à son entartage, d’Ashton Kutcher (« Tu n’es qu’un mec qui a de la
chance avec une sitcom » l’entend-on dire à John Stamos, mais c’est
bien entendu à lui-même qu’il s’adresse, en référence à That 70’s Show) à la
consanguinité qui gouverne les intrigues de la série (« Au bout de
douze ans, tout le monde a couché avec tout le monde ») et jusqu’aux scénaristes
(un « Comment as-tu pu faire autant d’argent avec des blagues aussi nulles ? »,
suivi par un regard face caméra). Chuck Lorre lui-même se réserve le mot de la
fin, dans un bel hommage au slapstick
façon Looney Tunes. On n’ose imaginer ce qu’aurait donné la série si lui et ses
scénaristes avaient mis le même cœur à l’ouvrage et la même verve parodique
dans chaque épisode, pendant 12 ans. D’aucuns diront que la série n’aurait alors
peut-être pas duré aussi longtemps ; trop d’esprit et d’impertinence
finissant souvent par rebuter le téléspectateur américain plus qu’autre chose. C’est
donc dans une mer oscillant entre médiocrité consommée et vraie drôlerie qu’a
navigué durant plus d’une décennie la série, essayant sans doute d’éviter avec
une vigueur égale la première autant que la seconde – on parlera là « d’incompétence
stratégique ».
La série aurait cependant difficilement faire plus cohérent que de partir
sur un tel n’importe quoi, elle qui avait fait (comme son acteur principal
d’ailleurs) de la vacuité et la bêtise ordinaire son fonds de commerce. Une
soudaine ouverture de tout ce petit monde-là à des préoccupations moins
égocentriques et immatures ? La série nous avait déjà fait le coup dans un
épisode de la saison 4, dans lequel Charlie avait une expérience de mort
imminente, et tout était revenu à l’ordre en fin d’épisode, statu quo oblige. Un final à l’eau de
rose, sur fond de câlins et de « Tout est bien qui finit bien » comme
le veut la longue tradition du genre depuis les années 70 et The Mary Tyler Moore Show ? On
n’y aurait pas cru. Si le dernier épisode d’une série influe fortement sur
l’image que les téléspectateurs en garderont (se souvenir du final contesté de Lost),
Mon oncle Charlie
restera donc cette sitcom gentiment neuneu, pas si mal écrite, dignement
interprétée et tout à fait répétitive, sans doute elle-même effarée de sa
longévité, tant elle avait pour seule arme un argument bien mince.
Article initialement paru sur le défunt site Waddup en 2015.
Et pour poucer, commenter, réagir à un blog déjà actif en 2015 : Sitcom à la Maison !
*“Je me doute que beaucoup d’entre vous seront déçus de n’avoir pas vu Charlie Sheen dans le final de ce soir. Pour
l’anecdote, on lui avait offert un rôle. Notre idée était de le faire marcher
jusqu’à la porte dans la dernière scène, presser la sonnette, puis se
retourner, regarder droit vers la caméra et se lancer une diatribe sur les
dangers de la prise de drogues. Il expliquerait ensuite que ces dangers
s’appliquent seulement aux gens normaux. Qu’il était loin d’être normal. Qu’il
était un guerrier ninja venu de Mars. Qu’il était invincible. Puis on lâcherait
un piano sur lui. On trouvait ça drôle. Pas lui. Au lieu de ça, il voulait que
l’on écrive une scène émouvante qui signerait son retour à la télé de prime-time
dans une nouvelle sitcom appelée The
Harpers avec lui et Jon Cryer. On a trouvé ça drôle aussi. »