"Weird" Al Yankovic, pouet-pouet maudit
« Quand mon dernier film,
UHF, est sorti en 1989, j’ai juré solennellement à mes fans que je sortirai un
grand film tous les 33 ans, avec une précision d’horloger. Je suis très heureux
d’annoncer que nous sommes dans les temps. Et je suis excité à l’idée de voir
Daniel Radcliffe me jouer dans le film. Aucun doute que les générations à venir
se souviendront de lui pour ce rôle-là. » En deux-trois vannes et une
référence culturelle (Harry Potter, on précise au cas où), tout le
personnage de "Weird" Al Yankovic est posé. "Weird" Al Kézako ? Yankovic, le chansonnier
et parodiste le plus célébré des Amériques. Lequel a donc aujourd’hui droit à
son biopic, sobrement titré Weird, comme Johnny Cash, Ray Charles
ou Freddie Mercury avant lui. Un film qui devrait toutefois s’avérer moins convenu
que les autres...
Il faut dire que « Al »
n’est pas un chanteur ordinaire. Roi de la parodie bien sentie, il capture –
mieux que maints artistes « sérieux » – depuis le début des années 80
le zeitgeist, l’esprit de l’époque, musical comme sociétal. De Queen à
Lady Gaga, de « Eye of the Tiger » à « Party in the
USA », c’est tout un itinéraire bis de l’histoire de la pop music
que Yankovic trace. La gaudriole rend-elle riche ? En tout cas, elle aide
à se pérenniser : Weird Al est l’un des rares artistes à pouvoir se
targuer d’avoir vu ses chansons incluses dans le Top 50 étatsunien sur quatre
décennies successives. Un succès qui l’a d’ailleurs amené à enterrer plus d’un
artiste éphémère. Qui aujourd’hui se souvient de Toni Basil, la chanteuse à la voix de hamster, ou de Men Without Hats, coupables de l’insupportable
« Safety Dance » ?
Cette longévité tient, au moins
en partie, à la qualité des productions. Le ton a beau être rigolard, la
recréation sonore est au cordeau et les paroles sont souvent plus subtiles
qu’elles n’y paraissent. Surtout, l’hommage aux artistes parodiés est toujours
bien intentionné. Pas question pour Weird Al, d’ailleurs, d’outrepasser
l’accord des artistes ; c’est la raison pour laquelle « Chicken
Pot Pie », détournement de « Live and Let Die », ne
vit jamais le jour : pourtant fan du parodiste, le strict végétarien qu’est
Sir Paul McCartney ne pouvait décemment pas donner son feu vert à une chanson parlant
de tourte au poulet. (Ironie du sort, Weird Al est lui-même végétarien depuis
trois décennies.) Yankovic aime les artistes, et eux le lui rendent bien :
parmi ses thuriféraires, on compte, excusez du peu, Michael Jackson, Lady Gaga,
ou Dave Grohl, qui avait même déclaré que Nirvana avait « réussi » (« made it ») après l’honneur d’une reprise par le maître. Mieux encore, le rappeur Félin
Fortuné Chamillionaire considère même devoir son Grammy Award à « White
& Nerdy », pastiche de « Ridin’ dirty » : « À
l’étranger, c’était un si gros truc que les gens me disaient qu’ils avaient
entendu ma version de la chanson de Weird Al. »
Artiste auréolé, respecté et respectable, Weird Al et son corpus musical méritent bien d’être analysés et disséqués, d’autant que tout son œuvre s’articule autour de thèmes récurrents. Les principaux : ces deux obsessions typiquement américaines que sont la culture pop et la nourriture, tendance junk food. À la première, il a consacré des brouettes de titres ; on croise, pêle-mêle, maître Yoda, Johnny Carson, Jurassic Park, Les Pierrafeu, Forrest Gump, Jerry Springer, eBay, entre autres. Rayon nourriture, c’est à un véritable festin qu’on est convié : on y déguste de la mortadelle, des patates, des lasagnes, des gaufres, etc. Parfois, c’est l’humour absurde qui prévaut, et il ne vaut même mieux pas chercher à comprendre. Pourquoi « Gangsta’s Paradise » de Coolio (qui appréciera modérément l’hommage) devient-il « Amish Paradise », chanson à la gloire de ce peuple vivant dans le passé ? Pourquoi pas ! Seuls tabous : le sexe, l’alcool et les drogues, auquel ce chrétien pratiquant ne fait jamais référence. Son péché mignon, il le trouve en revanche dans l’accordéon, instrument omniprésent dans la musique klezmer d'Europe centrale – où se trouvent ses racines lointaines – qu’il manipule à merveille. Dans chacun de ses albums, il réserve ainsi une place de choix à ses medleys polka, où il passe les hits du moment à la moulinette du piano à bretelles.
Avant d’être lui-même
« biopicisé », Weird Al a tâté du cinéma, avec UHF, film à
sketches foutraque et lettre d’amour déglinguée à ceux qui passent leur
temps à végéter devant la télé à mater des programmes obscurs et gentiment
déviants – on en connaît… L’accueil tiédasse que réserveront critiques et public
au long-métrage empêcheront Weird Al de devenir une star de cinoche, mais pas de
réapparaître à l’écran. Depuis, on l’a croisé en guest star de choix dans des sitcoms telles que 30 Rock ou How I Met Your Mother,
où un jeune Ted Mosby lui soufflait les paroles de sa chanson « Like a Surgeon » ; de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est d’ailleurs principalement pour
cela qu’on le connaît. Il faut dire que le niveau calamiteux des Français en
anglais, proverbial, n’a pas aidé l'artiste à percer par chez nous –
d’autant qu’Al ne lésine pas sur les calembours et autres expressions
idiomatiques : « running with scissors », « bad
hair day », « close but no cigar ». Espérons que le
casting étoilé de Weird aidera à la distribution du film dans nos contrées, et à faire connaître
et reconnaître ce génie de la chanson poilante, qui déclarait un jour vouloir « laisser
la musique sérieuse à Paris Hilton et Kevin Federline »...
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