Mascarade, plein sommeil
Nicolas Bedos est un mec marrant. Covidosceptique, vocalement opposé au port du masque, il intitule son dernier film Mascarade. Cynique ascendant misanthrope, qui joue avec des personnages qu’il méprise comme un sale gosse avec une loupe au soleil, il inclut dans son film des scènes de romance ensoleillée par pleins tunnels qui n’auraient pas dépareillé dans Sous le soleil. Cinéaste ambitieux qui se réclame visiblement de Billy Wilder et Alfred Hitchcock, il donne à son interminable long-métrage un rythme d’escargot asthmatique – alors que l'allure étourdissante était précisément ce qui contribuait à la réussite des films de ces Grands Anciens.
Regarder Mascarade,
c’est s’attendre à déguster un semi-gastro et être reçu comme chez Flunch. Et
pourtant, le cuistot n’est pas sans talent. On avait même beaucoup aimé La
Belle Époque, son meilleur opus à ce jour, étude maligne du temps qui
nous glisse entre les doigts, des relations qui s’effritent et de notre dépendance
à la nostalgie… Pris séparément, les divers ingrédients ne sont pas sans
saveur. En Bonnie et Clyde de la génération Instagram, Pierre Niney et Marine
Vacth font la blague. François Cluzet est toujours impeccable dans les rôles de
faux pigeon et de vrai romantique. Et Isabelle Adjani, en actrice décatie et
zinzin – en somme en Adjani du pauvre – est somptueuse. Bref : parce
qu’une critique constructive vaut mieux qu’un mauvais avis Yelp, on s’est quand
même demandé ce qui, au juste, cloche ici. À table !
Ça ne commençait pourtant pas si mal. Du Roman d’un tricheur à La Main au Collet, la Côte d’Azur a toujours inspiré les cinéastes rigolards, en bonne annexe des quartiers chics parisiens où les apparences sont reines et les caractères superficiels. Un postulat repris par Bedos, avec une approche maximaliste : toute l’humanité, absolument toute, patauge dans sa fange, pour toujours, et le rôle assigné à chaque sexe est quasiment inamovible : les mecs sont des porcs, et les filles, des michetonneuses. « Les hommes viennent de la porcherie, les femmes du trottoir… » En cela, Nicolas Bedos n’est pas radicalement différent des cinéastes d’hier (Kubrick) ou d’aujourd’hui (Ben Wheatley, Ruben Östlund) vouant aux gémonies leurs personnages et leur époque. Mais ce n’est même pas tant là que le bât blesse.
Non, le vrai problème, c’est qu’en Bedos, le scénariste et le réalisateur ne semblent pas s’être concertés. Chaque scène donne l’impression d’expliquer, de souligner péniblement, la précédente. Pourquoi faire s’enchaîner des saynètes exposant des situations aisément résumables en une ligne de dialogue ? Pourquoi faire figurer plusieurs fois une même scène pour lui faire dire rigoureusement la même chose, et s’enchaîner des flash-backs qui cherche à complexifier une intrigue somme toute basique ? On pense à ce que disait Peter Bogdanovich, quand il brocardait le caractère essentiellement artificiel de cette engeance de films non-linéaires – lui citait Duplicity, pas si éloigné de Mascarade : « [Dans ces films], ça n’a rien d’organique, ça paraît superposé ou faux. Je déteste les films comme on fait aujourd’hui, raconté à l’envers, depuis la fin ou le milieu. Il faut être un génie pour suivre l’intrigue […] Et ils s’étonnent que le public se demande ce qui se passe ?! »
Plus encore, Mascarade
aurait eu tout à gagner, pour son rythme, de s'inspirer de deux genres cinématographiques
avec lesquels sa parenté paraît évidente : la comédie classique hollywoodienne
et le film noir. Des genres où les films sont souvent courts, sans fioritures,
et où tout va vite : les relations qui se font et se défont, les fortunes
montant très haut pour retomber très bas, les dialogues récités à un débit de
mitraillette. Des longs-métrages signés d’Ernst Lubitsch, d’Otto Preminger, de
Billy Wilder donc, et de Howard Hawks. Hawks, plus moderne des cinéastes classiques
et icône absolue d'un Tarantino, avait pour habitude de dire, très lucidement, qu’un
bon film, c’était « trois bonnes scènes et pas de mauvaise scène. »
Soit tout l’inverse de Mascarade, gratin surcuit se contentant d’enchaîner
des scènes d’exposition à la dramaturgie rabougrie – sous lequel se cache toutefois, qui
sait, un authentique diamant noir.
Mascarade, Nicolas Bedos, 2021. Avec : Pierre Niney, Marine Vacth, François Cluzet, Isabelle Adjani, Charles Berling.
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