Pigalle la nuit, néons et merveilles

 

La télévision française actuelle peut-elle produire des grandes séries policières ? Les fêtes approchent, on sait que le débat pourra survenir à table, c’est pourquoi on a pensé à vous et à l’argument-massue que vous pourrez dégainer ; Pigalle, la nuit, belle réussite made in Canal+ d’il y a une décennie, à citer quand on vous assène que l’Hexagone n’est capable de produire que des succédanés des Experts et de Luther.

Quartier rouge

Le qualificatif de « série policière », d’ailleurs, est un peu réducteur. Nous sommes alors en 2009, et on sent que The Wire est passée par là (les créateurs citent aussi Magnolia) et a ouvert l’autoroute pour toute une engeance de séries chorales s’assumant comme telles – même plus busquées derrière un personnage principal servant de paravent. Il y a bien Thomas (Jalil Lespert) qui sert de porte d’entrée et sa quête (de sa sœur Emma), de fil rouge, mais, davantage qu’un (anti-)héros, il est un prétexte à tout le reste, c’est-à-dire le plus important. Pour filer l’analogie, il est un peu le Jimmy McNulty de Paname : le personnage loin d’être le plus fascinant ou foisonnant, mais dont l’apparente normalité viendra révéler la faune peuplant ce microcosme. Comme Baltimore également, le 9e arrondissement fait l’objet d’une âpre lutte entre entrepreneurs aux dents longues. Dans le coin gauche, Nadir (l’immense Simon Abkarian) est un patron de strip-club « à l’ancienne », respectueux d’un code d’honneur, qui exploite gentiment ses filles en s’assurant toujours qu’elles aient un toit sur la tête. Dans le coin droit, Dimitri (Eric Ruf) est ambitieux, revanchard et appuyé par la mafia russe. En apparence, seul un boulevard (de Clichy) les sépare. En vérité, entre eux, c’est l’éternel duel de l’ancien monde contre l’ancien qui prend place. Et les différentes personnalités – hommes de main, commerçants, professionnelles – qui les entourent en essuieront les plâtres.

Paris Dernière

Opportunément célébrée par la presse à sa diffusion sur Canal+ et suivie par des hordes de téléspectateurs (1,2 million, vraiment pas de quoi tirer la tronche), Pigalle, la nuit est pourtant trop peu citée comme une preuve éclatante du savoir-faire français en matière de séries. Et c’est bien dommage, tant les talents devant et derrière la caméra – les scénaristes Hervé Hadmar et Marc Herpoux en tête – en font une expérience sérielle mémorable, dardée par la lumière éclatante des néons du quartier. D’autant plus appréciable qu’à l’époque, le cinéma français s’était déjà largement détourné du cinéma de genre, a fortiori policier, pourtant un jour éclairé par les astres brillants de Jean-Pierre Melville ou Yves Boisset… (Ajoutons que c’est peu ou prou la même chose aujourd’hui, et que les rares cinéastes résistants tendent à se tourner vers les plateformes.)

Autant de gages de réussite qui auraient logiquement dû inciter Canal à continuer à parier sur le cheval Pigalle ? Ce serait mal connaître la logique – tellement répandue qu'elle en est presque systémique – des dirigeants télévisuels français, qui a ici conduit à l’annulation de la série pour des raisons floues mais lapidaires de « manque de cohérence avec la ligne éditoriale » de la chaîne. Un Marc Herpoux courroucé posait dans Télérama la question qui fâche : « Où va-t-on si les chaînes peuvent, au nom d’un changement de ligne éditoriale, mettre à terre toute une production et ses auteurs, sur un coup de tête ? », avant que de conclure, alarmiste que « le showrunner, celui qui dirige véritablement la série, en France, c’est la chaîne. La notion d’auteur n’existe pas chez nous. » Triste mais vrai. Pas sûr, vu comme ça, que vous remportiez le débat à la table de Noël…

Pigalle, la nuit, Hervé Hadmar & Marc Herpoux, 2009 (1 saison). Avec : Jalil Lespert, Simon Abkarian, Sara Martins, Catherine Mouchet, Archie Shepp.

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