Blonde, American Tabloïd
Qui était Marilyn Monroe ? Une
orpheline en quête de repères, une femme réifiée à force que d’être fantasmée,
une victime starifiée, une actrice scarifiée, une pionnière sacrifiée ? Ou un peu tout cela à la fois ? Pis
encore, Norma Jeane Baker, de son vrai nom, savait-elle qui elle
était ? À ces questions, Blonde ne répond que partiellement, et s’attaque au mythe Monroe, à sa mystique, plutôt qu’à la femme et à l'actrice. En adaptant le roman éponyme de Joyce Carol Oates, déjà plus allégorique que purement biographique, Andrew Dominik donne vie à un objet
de cinéma éminemment troublant.
Tendre est la nuit
Il fallait bien les ambitions (les hubris ?) combinées d'un cinéaste australien et de Netflix – dont le but plus ou moins avoué est de remplacer l’expérience de cinéma telle qu’on la connaît – pour déboulonner la légende de la plus grande des stars américaines. Car, très vite, on se rend compte que ce n’est pas tant la vie de Monroe (Ana de Armas, saisissante) – son enfance troublée, ses multiples mariages… – qui intéresse le réalisateur. Le propos de Dominik semble plus vaste et consiste en un règlement de comptes méthodique avec les valeurs hollywoodiennes et l’artificialité du star-system ; jusque dans le titre, puisque Norma Jeane était originellement… brune. Lorsqu’elle « monte » à Los Angeles, celle-ci est victime de ce que plusieurs générations de femmes devront endurer sans que personne n'y trouve à redire, en tout cas jusqu’au mouvement #MeToo et la chute de l’ogre Weinstein. Similairement, que Marilyn ait ou non subi plusieurs avortements (point sur lesquels les historiens se disputent) n’est pas le plus important – et ne fait pas ici l’objet d’une « propagande anti-avortement camouflée en art », comme on a pu le lire. Avérées ou non, ces IVG correspondent quoiqu’il en soit à une sordide réalité de « l’âge d’or », d’Hollywood, période où les actrices devaient souffrir pour être belles et rester des toiles blanches et virginales, imprimables de tous les fantasmes du 7e art.
Dans Blonde, Marilyn
devient dès lors, pour citer Fitzgerald dans Tendre est la nuit, « un
million de filles à la fois », une vision métaphorique, transcendée de
la femme. Le film dure 2 h 47 mais pourrait faire 1 h 22 ou 4 h 01 et produire
un effet comparable, tant les souffrances de l’actrice sont infinies. Et les réactions
polarisées reçues par le film sont finalement logiques, tant il peut être
interprété à l’aune de deux visions radicalement divergentes de la femme, pour ne
pas dire du monde.
Hollywood Babylone
Mais le réalisateur ne s’arrête
pas en si bon chemin. Au-delà du vampirisme hollywoodien, il pointe du doigt
les (télé)spectateurs – nous, vous, moi – et la fascination presque voyeuriste que l’on a souvent pour les dieux de l’écran. Là encore,
MM en fit elle-même les frais, critiquée pour la relation trouble (et trouple) qu’elle
entretint avec les rejetons de Charles Chaplin et Edward G. Robinson – à l’époque
où la culture tabloïd du scoop et du scandale émerge, notamment avec Kenneth Anger et son fameux Hollywood Babylone. Certaines scènes
de Blonde donnent la sensation inconfortable de ne pas être à sa
place, d’assister sans y être invité à des querelles de couple ou des scènes familiales, assez pathétiques. D’autres vont encore plus loin et reconstituent de façon vertigineuse des images d’archives ou des scènes de films ; on a
parfois l’impression de voir du deepfake, comme ces vidéos chelous où la
voix de Canteloup est superposée sur le visage de Macron. On ne sait plus trop à
quel niveau de réalité ou de fiction on se situe, et c’est probablement l’effet
recherché… In fine, on sort de Blonde comme on sortait jadis de l’éreintant
Nixon d’Oliver Stone : à la fois groggy et fasciné, intimidé et reconnaissant,
et surtout persuadé d’avoir lu la version non censurée, non expurgée, du roman
national américain.
Blonde, Andrew Dominik, 2022. Avec : Ana de Armas, Adrien Brody, Bobby Cannavale, Xavier Samuel, Julianne Nicholson.
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