Les Banshees d'Inisherin, insulaire de rien

 

Cela commence par une de ces situations dont le théâtre est friand : une brou(t)ille qui vient semer la zizanie dans une amitié jusqu’ici indéfectible. Partant de là, tout peut arriver, et chacun y laissera des plumes… On pense un peu à « Art » de Yasmina Reza et plus encore à Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Tout est lié, ou presque : Sarraute fut elle-même un temps proche de Samuel Beckett l’Irlandais, dont l’influence transpire dans ces Banshees. Beckett avait Mercier et Camier, deux compères bien malgré eux incapables de quitter une ville labyrinthique et vaporeuse évoquant fortement Dublin ; Martin McDonagh – qui a précisément été dramaturge dans une vie antérieure – a lui Pádraic (Colin Farrell dans l’un de ses plus beaux rôles) et Colm (le toujours fiable Brendan Gleeson), pauvres hères coincés sur une île, titillés par des envies de mieux, où à tout le moins d’autre chose.

Si le postulat est théâtral en diable, le traitement est, lui, pleinement cinématographique. McDonagh tire habilement parti du cadre cinégénique de cet isolat irlandais et marie les genres en insufflant dans son étude de mœurs la structure et la tension d’un thriller, sachant faire monter la sauce et la tension (on se souvient avec émoi de Three Billboards), freinant pour mieux redémarrer en trombe. En bout de ligne, pas de plot twist ou de fin explosive cependant, juste la petite musique de la solitude, du temps qui passe, et de notre propre désemparement face à celui-ci. « J’ai juste envie d’être tranquille », dixit Colm – comme tout un chacun, pas vrai ? Pour qui sait apprécier les décoctions un peu corsées, Les Banshees d’Inisherin se savoure avec l’exigence et l’âpreté d’un bon douze ans d’âge.

Les Banshees d'Inisherin (The Banshees of Inisherin), Martin McDonagh, 2022. Avec : Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon, Barry Keoghan.

Et pour poucer, commenter, réagir à un chouette blog : Sitcom à la Maison !

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards