The Fabelmans, la chambre du fils

 


Il y a dix ans, à la sortie du Loup de Wall Street, un critique américain avait émis l’idée que Scorsese n’aurait sans doute pas pu réaliser un film empli d’autant de seins et de fesses avant la mort de sa mère, catholique pratiquante. Il n’y a pas autant de femmes à poil dans The Fabelmans, mais c’est pour autant une histoire que Spielberg ne voulait pas raconter tant que ses parents étaient vivants, privilégiant d’autres films, d’après lui « personnels, même s’ils ressemblent à des gros films commerciaux. » Aujourd’hui, Arnold et Leah ne sont plus là et The Fabelmans a vu le jour. On sait depuis toujours Spielberg féru de François Truffaut, au point de l’avoir fait jouer dans Rencontres du troisième type et caressé un jour l’idée de remaker L’Argent de poche. Comme dans le cycle truffaldien des aventures d’Antoine Doinel, l’angle retenu est celui de la semi-autobiographie, les Spielberg devenant ici les Fabelman. Notons que ce patronyme n’est sans doute pas le fruit du hasard : si Spielberg signifie en allemand « montagne du jeu », Fabelman est donc, littéralement, « l’homme des fables ». D’un nom à l’autre, le même ludisme, le même plaisir de (se) raconter des histoires.

La cinéphilie du petit Steven / Samuel commence comme l’histoire du cinéma elle-même : avec un train. La catastrophe ferroviaire de Sous le plus grand chapiteau du monde, que l’enfant n’aura de cesse de reconstituer dans sa chambre d’enfant. De la chambre obscurcie par les volets fermés à la camera obscura, il n’y a qu’un pas, ligne sur laquelle le cinéaste en herbe marche tel un funambule. Jusqu’à ce que se pose la question qui fâche : les films ou la vie ? C’est là que transparaît ce qui est, depuis toujours, le vrai sous-texte de la geste cinématographique spielbergienne : le cinéma et le storytelling comme art de la fuite en avant et comme palliatif à un environnement qui s’écroule.

Avant The Fabelmans, son long-métrage le plus autobiographique était sans aucun doute Arrête-moi si tu peux. Tel un réalisateur amateur, Frank Abagnale (DiCaprio, prodigieux dans son premier vrai grand rôle) « mettait en scène » ses différentes vies et ses impostures, jusqu’au bout du mensonge… Et, si on a trop longtemps réduit le cinéma de Spielberg à une œuvre essentiellement bienveillante envers les grandes institutions américaines – la famille en tête – il ne faut pas oublier à quel point les cellules familiales qui peuplent ses films peuvent être cabossées ou anxiogènes. De Rencontres à La Guerre des Mondes en passant par Jurassic Park, il faut bien souvent une menace incommensurable pour rabibocher ce qu’il y reste d’unité.

Et, en découvrant la part d’intimité supplémentaire que contient The Fabelmans sur les parents Spielberg, on comprend là encore la proximité qu’a pu trouver le jeune Steven en Truffaut, l’auteur de Jules et Jim et des Deux anglaises et le continent. Né d’une mère pianiste et d’un père ingénieur chez General Electric, il a toujours voulu, dans l’œuvre de sa vie, concilier l’art et la technique, l’émotion brute et la froide mécanique. À défaut d’empêcher le divorce de ses parents, il n’aura cessé de vouloir les faire se réconcilier sur grand écran.

The Fabelmans, Steven Spielberg, 2022. Avec : Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, Judd Hirsch.

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