Geneviève Albert, cinéaste : "Faire un film suscitant un questionnement sur ce que signifie le consentement"
Rencontre avec Geneviève
Albert à l’occasion de la sortie de son premier long-métrage Noémie dit oui. Un
film tout en nuances et pudeur sur un sujet difficile : la prostitution
juvénile. Comment mettre en scène cette thématique ? Comment travailler en
confiance avec des interprètes débutants ? Quels défis à relever pour ce
passage au long-métrage ?
D’où vous est venue l’idée du
film ? Cela correspond-il à une réalité sociale que vous avez pu observer ?
Geneviève Albert : Il
s’agit d’une réalité sociale à laquelle je suis très sensible depuis longtemps,
depuis mon adolescence, en réalité. Quand j’ai pris conscience de ce qu’était
réellement la prostitution, ça m’a beaucoup interpellée, bouleversée. C’est
finalement un sujet qui m’a suivie jusqu’à ce que je fasse mon premier
long-métrage. C’est pour moi un sujet très fort, qui n’est pas autobiographique,
même si j’ai rencontré beaucoup d’adolescents et de jeunes femmes ayant eu des
expériences dans la prostitution. Ils ont partagé leurs expériences avec moi et
je suis partie de cela comme point de départ pour l’écriture.
Au-delà de votre appréhension
personnelle, comment ce sujet est-il perçu dans la société québécoise ? En
parle-t-on ouvertement ou est-ce encore un sujet tabou ?
Geneviève Albert : Je
dirais qu’il est moins tabou qu’en France ; c’est ce dont je me suis rendu
compte... Au Québec, on en parle assez ouvertement et, à chaque Grand prix de
Formule 1, des campagnes de sensibilisation sont faites pour prévenir des
dangers du tourisme sexuel. C’est ce que peu de gens savent également, que
Montréal est une plaque tournante du tourisme sexuel en Amérique du Nord.
Hélas, la situation évolue assez peu, principalement du fait d’une inaction de
la part du personnel politique. Il n’y a pas de réelle volonté de fournir plus
d’effectifs, plus de moyens financiers pour lutter contre ce fléau de la
prostitution, tout particulièrement juvénile.
Vous mentionniez le cas précis
des compétitions de Formule 1. C’est un microcosme très codifié, très masculin.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous focaliser sur ce milieu en particulier ?
Geneviève Albert : Comme
je le disais, à Montréal a lieu, un week-end par an, un Grand prix de Formule
1, marqué par une explosion de la prostitution – environ quatre ou cinq fois
supérieure au reste de l’année ! Cet événement attire logiquement énormément de
touristes, y compris des touristes sexuels. Cela me semblait être un cadre
adapté pour raconter cette histoire, d’autant plus qu’à cette occasion,
beaucoup de jeunes filles se prostituent pour la première fois. Les proxénètes
vont les chercher, par exemple dans des centres jeunesse ou d’accueil, et les
incitent à se prostituer. Cela me semblait intéressant que Noémie dit oui se
déroule durant cette période, et de montrer ce qui arrive à cette jeune fille
qui accepte cette proposition.
Le consentement est justement l’un des sujets du film. Le titre laisse entendre que Noémie est consentante quand elle couche avec des hommes, mais à quel point cette acceptation est-elle le fruit de contraintes, de situations subies plutôt que choisies ?
Geneviève Albert : C’était précisément la question que je souhaitais poser, qui était à l’origine de mon scénario. Effectivement, Noémie dit oui après avoir dit non à plusieurs reprises mais, en réalité, elle cède. Elle cède face à une situation, face à une proposition. Être séparée de sa mère, et même abandonnée par celle-ci, crée une telle déchirure, une telle perte de sens, que le pas à franchir pour accepter de se prostituer ne lui paraît plus si grand. C’est ce que je voulais faire avec ce film : susciter un questionnement sur ce que signifie le consentement. Celui-ci est souvent perçu de façon trop simpliste ; dire oui serait suffisant pour qu’il y ait consentement… Alors qu’il s’agit, je pense, d’un sujet bien plus complexe, bien plus nuancé que cela. Il faut donc l’envisager de façon plus large, plus globale.
Ce qui vous intéressait,
c’était donc d’explorer cette « zone grise » en matière de consentement ?
Geneviève Albert :
Exactement. L’un des arguments régulièrement donnés pour cautionner la
prostitution est de dire que celles et ceux qui pratiquent cette activité y
consentent. Peut-être, mais dans quel contexte cela a-t-il eu lieu ? Quel est
le vécu de la personne avant qu’elle accepte ? Des statistiques existent sur la
prostitution ; elles révèlent par exemple que 80 % des personnes qui se
prostituent ont été abusées sexuellement dans leur jeunesse. C’est le genre de
vécus, d’expériences qu’il vaut sans doute mieux prendre en compte avant de se
prononcer sur un sujet tel que celui-ci.
Il s’agissait de votre premier
long-métrage après plusieurs courts. Quels étaient les défis à relever pour ce
baptême du feu ?
Geneviève Albert : Le
principal défi concernait l’écriture du scénario. C’est ce processus d’écriture
qui m’a demandé le plus de temps, c’était cela la « pente » la plus marquée
dans ce passage du court au long-métrage. Pour le reste, j’ai été assez agréablement
surprise de mon aisance sur le tournage, qui a été un processus vraiment
galvanisant et enrichissant. J’ai eu la chance de travailler avec une équipe
exceptionnelle, qui a compris et fait corps avec ma vision, et n’a cessé de
l’améliorer. Ça a été un tournage assez miraculeux.
La plupart des comédiens et
comédiennes du film sont assez jeunes, et débutent pour certains. Comment la
phase de casting s’est-elle déroulée ?
Geneviève Albert : La
période de casting a été assez longue, puisqu’en effet la majorité des rôles à
distribuer concernait des jeunes acteurs. Il n’y a que l’actrice principale,
Kelly Depeault, à qui je n’ai pas fait passer d’audition. Je l’avais trouvée
exceptionnelle dans le film La déesse des mouches à feu, et j’ai écrit le rôle
pour elle. J’avais la conviction qu’elle seule était faite pour incarner ce
rôle. Pour le reste de la distribution, il y a eu de nombreuses auditions. Je
voulais prendre le temps de voir beaucoup de jeunes hommes et de jeunes filles
pouvant incarner ces personnages.
Est-il plus difficile de
travailler avec des jeunes acteurs, qui plus est pour jouer des sujets
complexes comme ceux du film ?
Geneviève Albert : C’est
un processus que j’ai pris très au sérieux. Je parlais de Kelly, elle joue un
personnage de quinze ans mais en avait dix-neuf pendant le tournage. Pour une
jeune actrice, c’est un défi de jouer une prostituée, et je voulais tout faire
pour mettre ma comédienne en confiance, et que tout le monde soit rassuré. Nous
avons effectué beaucoup de répétitions, et j’ai aussi laissé le dernier mot à
Kelly quant à ceux qui allaient interpréter ses clients. J’avais choisi deux
acteurs pour chaque rôle ; nous avons regardé leurs auditions ensemble et elle
a choisi ceux avec qui elle se sentait le plus à l’aise. Il y avait également
une coordinatrice d’intimité sur le plateau. Toutes les mesures ont été prises
pour instaurer un climat de confiance, toute l’équipe était très
professionnelle. Sur certain tournages, les interprètes ne sont pas
suffisamment accompagnés lorsqu’ils ont des scènes de sexe à tourner ; nous
avons donc pris très au sérieux de les protéger.
Avez-vous des projets, qu’il
s’agisse de courts ou de longs-métrages ?
Geneviève Albert : Oui, je
travaille actuellement sur l’écriture de deux longs-métrages. Le premier est un
drame social qui se rapprochera de Noémie dit oui. Pour le second, où la situer
? C’est plutôt une comédie, mais une comédie dramatique, inspirée de ma vie
amoureuse. Ce sera autobiographique, ou presque !
Article également disponible sur le site AVoir-ALire.
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