Les Trois Mousquetaires : D'Artagnan, cape ou pas cape ?


Distribution étoilée, budget ad hoc, promotion façon tapis de bombes et même exposition organisée dans la fondation qui porte son nom : le nabab Jérôme Seydoux n'a pas barguigné pour cette nouvelle adaptation du classique de Dumas. Avec à l'arrivée, un objet convaincant mais frustrant, sans doute à force de vouloir cultiver la politique du « en même temps », comme on disait en 2017. (Comme ce temps-là paraît lointain, hein ?) Car à vouloir être partout, à allier l'ancien et le moderne (voir le traitement réservé au personnage de Porthos), les méthodes hollywoodiennes à la « qualité française », le primesautier au sentencieux, on prend le risque de ne plus être nulle part. Manque donc à ces Mousquetaires 3.0 ce « je-ne-sais-quoi » ou ce « presque rien » cher à Jankélévitch.

Sur le papier, c'est le cas de le dire, tisser du grand spectacle avec le matériau dumasien tombe sous le sens. Là où les super-héros étasuniens sont souvent des archétypes surhumains, minéraux, alignés avec la « destinée manifeste » qui préside à la création du pays, les personnages peuplant les feuilletons français classiques - qu'ils se nomment Athos, Rocambole, Lagardère ou Rodolphe de Gérolstein -, sont des figures romantiques, pleines de panache, faillibles, n'aimant rien tant que la séduction, la cervoise fraîche et la camaraderie bourrue. Ça, le film de Martin Bourboulon l'a bien compris, et le retranscrit plutôt fidèlement. L'alchimie entre Civil, Cassel, Marmaï et Duris fait mouche et met ce qu'il faut d'huile dans le moteur – même si l'idée d'avoir pris des acteurs de la trempe des deux derniers pour passer les plats au premier peut laisser circonspect. Soit.

Diction bizarroïde

Les choix scénaristiques, les fils tirés depuis le copieux roman s'avèrent assez payants, mais c'est du côté des dialogues que cela pèche d'abord ; revoilà cette idée d'un mariage saugrenu entre l'hier et l'aujourd'hui, et cette drôle de façon que les scénaristes (Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, eux-mêmes dramaturges) ont de faire parler leurs personnages. Ce n'est même pas que ça sonne peu crédible : c'est que ça sonne peu cohérent ! Dans une scène, voilà nos mousquetaires qui s'expriment avec pompe et théâtralité, de la façon (fantasmée) dont on imagine les gentilshommes de l'époque parler. Et, juste après, les voici en train de palabrer ou de se lancer des vannes dans un vocable qui sonne tout à fait contemporain. Les deux options se valent, il fallait simplement s'en tenir à une seule... (Dans un registre pas si éloigné, on se souvient de Kaamelott, où Alexandre Astier forçait le trait et faisait délibérément parler ses chevaliers de la Table Ronde comme des margoulins d'un film d'Audiard.) Cette diction bizarroïde touche le fond dans les scènes entre D'Artagnan et Constance (Lyna Khoudri, gâchée), où le bretteur se voit flanqué d'accroches dignes d'un charo de Tinder, façon « Ton père est un voleur... ». Sans surprise, ce sont finalement les tauliers de la Comédie-Française (Éric Ruf) ou les échappés des films lyriques de Christophe Honoré (Louis Garrel, olympique) qui tirent le mieux leurs marrons du feu à ce petit jeu.


 

Adapter Dumas n'est certes pas chose aisée. Si ses récits sont épais de plusieurs centaines de pages, c'est aussi parce qu'ils sont truffés de digressions, de salamalecs, de circonvolutions. Même Umberto Eco, dumasien convaincu, était le premier à le reconnaître. À propos du Comte de Monte-Cristo, l'érudit italien écrivait* qu'il « part en tout sens. Débordant de redondances, répétant éhontément un adjectif à une ligne d'écart, accumulant avec incontinence ces mêmes adjectifs, ouvrant de sentencieuses digressions sans réussir à les fermer car la syntaxe ne suit pas » avant de conclure lapidairement que ledit Monte-Cristo est « sans doute l'un des romans les plus passionnants qui aient été écrits, et aussi l'un des romans les plus mal écrits de tous les temps. » Pourquoi Alexandre Dumas, pourtant pas médiocre écrivaillon, procédait-il ainsi ? La raison est simple et tout à fait terre-à-terre : comme tout feuilletoniste, il était payé au volume, et tirer ainsi à la ligne signifiait tout bêtement plus de flouse. D'où ces lourdeurs. A l'écran, il s'agirait presque de faire l'inverse, de montrer plutôt que de dire et d'aller droit au but et sans les mains, en tirant parti de ce qu'offre ce médium total qu'est le cinéma.

Après eux, le déluge ?

Si le travail d'adaptation et d'incarnation tient grosso modo debout, que reste-t-il ? La mise en scène, bien sûr, est c'est finalement là le gros point faible de cette cuvée 2023. Assez confiant lorsqu'il filme la décadence purulente de la royauté (les ors du Louvre, les fêtes orgiaques de Buckingham), Bourboulon passe complètement à côté des scènes qui sont justement « de cape et d'épée », de batailles au fleuret. Plutôt que d'emballer ça avec ampleur, avec grandiose, avec opulence, le réalisateur multiplie les coupes, orchestre tout ça comme un mauvais film de kung-fu. Résultat : on ne voit ni lit rien, on devine simplement, grâce à la scène d'après, que ce sont Aramis et ses collègues qui ont gagné car ils sont encore vivants.

Finalement, c'est là que le bât blesse vraiment, et que Boulogne-Billancourt se met à ressembler à Hollywood dans ce qu'il a de plus industriel et de plus routinier : des légions d'exécutants, de tâcherons au sens premier du terme, dévoués aux desiderata d'un producteur tout-puissant. D'autant que, dans la tête de Jérôme Seydoux, grand argentier de cet « Alexandre Dumas Cinematic Universe », cette nouvelle capitalisation patrimoniale a des allures de crash test : si ce film-là – comme l'Astérix de Guillaume Canet – ne rencontre pas son public, le cinéma français peut préparer son testament. Calmos : pour chamboulé qu'il soit (par la chronologie des médias, les nouveaux modes de consommation et toutes les pratiques post-Covid), notre cinéma national se porte bien. Au cours d'une projo un peu longuette, on se surprend même à rêver des auteurs talentueux à qui Seydoux et consorts auraient mieux fait de laisser le volant : Michel Gondry ? Valérie Donzelli ? Pierre Salvadori ? Xavier Giannoli ? Ces cinéastes-là font du bon voire du grand cinéma, il suffisait simplement d'oser sortir de sa zone de confort et de laisser parler leur grain de folie... Voilà peut-être ce qu'était ce fameux je-ne-sais-quoi qui manque ici : le supplément d'âme.

Les Trois Mousquetaires : D'Artagnan, Martin Bourboulon, 2023. Avec : François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Eva Green.

*Dans De Superman au surhomme, Grasset, 1993

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