Au cimetière de la pellicule, Guinée d'hier
Qui est-il, cet homme qui déplace
(pieds nus) sa silhouette de grand échalas de villages en villes, de cinémas en
cinémathèques, de Guinée en France ? Il s’appelle Thierno Souleymane Diallo, est cinéaste débutant, et s’est investi d’une drôle de quête :
retrouver Mouramani, court-métrage de 1953 réalisé par Mamadou
Touré qui signa aussi l’acte de naissance du cinéma guinéen, pays alors encore
colonisé par la France. Présenté dans quelques festivals européens – dans Le
Monde, Jacques de Baroncelli parlait alors d’une « naïveté qui
n’est pas sans charme » avant de conseiller prudemment à Touré « d’apprendre
sérieusement son métier, sans devenir prisonnier des lois de l'école »
–, Mouramani est néanmoins un objet perdu, la Guinée comme la
France n’ayant jamais entrepris les démarches pour que le film soit conservé et
entretenu.
La grande idée du film est la
façon dont Diallo se met lui-même en scène. Son personnage de Candide, de faux
naïf, souligne d’autant mieux les situations ubuesques auxquelles il fait
parfois face. Car l’on se rend très vite compte que la quête d’un film n’est
qu’un prétexte, un MacGuffin hitchcockien, pour soulever des questions bien
plus épineuses, liées à l’histoire et la mémoire. Bien sûr le cinéma, comme
tout art, n’est jamais totalement exempt des ingérences politiques. Ici, on
serait tenté de dire que Mouramani fut victime de son
époque : une fois retirée d’Afrique, la France n’avait alors peu ou pas
d’intérêt à en préserver le patrimoine. Quant à la Guinée, ayant adopté un
régime d’allégeance marxiste, elle cherchait davantage à favoriser les œuvres
répondant aux bons critères du réalisme socialiste… Au cimetière de la
pellicule porte bien son nom : les déambulations de Thierno
Souleymane Diallo constituent une balade entre les tombes, pavée de cinémas
délabrés et de films vendus à la sauvette dans une bien piètre qualité. C’est
l’histoire d’une industrie locale à qui l’on n’a jamais donné sa chance, par
manque d’initiative ou par calcul politicien.
Comme en matière de politique, justement, une réaction raisonnablement européenne pourrait être de dire que « cela ne pourrait jamais arriver chez nous… » A cette idée reçue-là aussi, Diallo tord le coup. En donnant la parole à celles et ceux qui œuvrent à la préservation des bobines, il rappelle le travail, laborieux mais primordial, de ces organes à l’ère du numérique, du volatile et de l’éphémère. En illustrant le combat du cinéma La Clef, véritable David contre le Goliath des multiplexes, il redit l’apport essentiel de ces endroits alternatifs comme lieux où le savoir se transmet et l’opinion se façonne. Dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du romancier goncourisé Mohamed Mbougar Sarr, il nous rappelle que le cinéma lui aussi occupe une place de choix dans « la plus secrète mémoire des hommes. »
Au cimetière de la pellicule, Thierno Souleymane Diallo, 2023.
Et pour poucer, commenter, réagir à un chouette blog : Sitcom à la Maison !